Avec tout l'argent que Québecor a perdu en voulant s'imposer comme principal groupe de presse écrite au Canada anglais, on comprend mieux le virage souverainiste qu'a récemment pris Pierre Karl Péladeau, qui n'a jamais été en mesure de reproduire le modèle de rentabilité de ses journaux québécois dans le reste du pays. Le Canada n'a pas été payant pour Québecor ni pour PKP, il a été plutôt coûteux.

«It's a great day for Canada!», s'était pourtant exclamé Pierre Karl Péladeau, dans la salle de rédaction du Toronto Sun, ce jour de décembre 1998 où Québecor venait d'être déclaré l'acquéreur officiel du groupe de presse torontois.

Au terme d'une surenchère avec le groupe Torstar, Pierre Karl Péladeau et Québecor ont déboursé 983 millions de dollars pour faire l'acquisition de la chaîne de journaux Sun, soit pratiquement le triple de la somme qu'était disposé à payer le fondateur de Québecor, Pierre Péladeau, deux ans plus tôt.

C'est en 1996 que Québecor avait été pressenti par le groupe Rogers qui était, à l'époque, propriétaire de 62% des actions de Sun Media.

Rogers avait décidé de vendre ses actifs dans la presse écrite afin de recentrer ses activités dans le secteur de la câblodistribution et de la téléphonie sans fil.

Rogers lancera d'ailleurs quatre ans plus tard, en février 2000, une offre publique d'acquisition (OPA) sur Vidéotron qui sera déclassée quelques mois plus tard par une contre-offre plus généreuse de Québecor et de Pierre Karl Péladeau...

Toujours est-il qu'en 1996, Pierre Péladeau et Québecor ont échoué dans leur tentative d'acquérir la chaîne de journaux Sun. Un groupe de cadres de Sun Media, appuyé financièrement par la caisse de retraite Teachers', a convenu de débourser 411 millions pour mettre la main sur Sun Media.

Pierre Péladeau m'avait confié à l'époque que cette transaction n'avait pas de sens. «Ça vaut pas 300 millions!», m'avait-il dit, interloqué par le prix payé par Teachers'.

Deux ans plus tard, le groupe Torstar, propriétaire du Toronto Star, lance une OPA hostile de 700 millions sur Sun Media. La direction groupe et les journalistes du Toronto Sun s'opposent avec vigueur à cette éventualité qui risque d'entraîner la mort du tabloïd torontois.

Québecor est appelé en renfort pour jouer le rôle de chevalier blanc et, au terme d'une surenchère, consent à allonger 983 millions pour réaliser son OPA amicale sur Sun Media et propulser Québecor au second rang des plus gros éditeurs de journaux canadiens, tout juste derrière Southam.

Un an après le décès de son père, Pierre Karl Péladeau inaugurait une toute nouvelle ère dans la jeune histoire de Québecor, celle du recours à l'endettement massif, le leverage, comme moyen de croissance.

Cette stratégie sera réutilisée deux années plus tard pour réaliser l'acquisition de Vidéotron et a servi encore, en 2007, pour consolider la position de Québecor comme le plus grand éditeur de journaux canadien avec l'acquisition du groupe Osprey au coût de 517 millions.

Pour supplanter Southam, devenue CanWest et maintenant Postmedia, Québecor a déboursé, de 1998 à 2007, 1,5 milliard pour devenir le groupe de presse prépondérant au Canada anglais, avec ses 175 journaux quotidiens ou hebdomadaires.

Ce groupe de presse important a généré au fil des ans son lot de profits avant impôt et amortissement, mais il a surtout commandé son lot de radiations d'actifs et de restructurations coûteuses.

Une division que l'on a payée 1,5 milliard et que l'on revend, 10 ans plus tard, 316 millions n'est pas et n'a pas été une division contributive à la rentabilité du groupe Québecor. Le groupe québécois vient en fait de se soulager d'un problème qui le tracassait depuis bien des années. Il y en a assez qui s'en viennent, ce n'est pas un luxe de se départir de ceux qui pesaient trop.

Il y a un fait qu'il faut toutefois souligner, c'est l'opiniâtreté dont a toujours fait preuve Paul Godfrey tout au long de l'odyssée canadienne de Québecor.

M. Godfrey était à la tête Sun Media en 1996 et du groupe de dirigeants qui voulaient racheter la chaîne de journaux à Rogers. Il est celui qui a fait échouer la tentative d'acquisition de Pierre Péladeau. Deux ans plus tard, il est celui qui s'enrichira de plusieurs millions en amenant Pierre Karl Péladeau à réussir la très généreuse transaction de 1998.

En 2000, Godfrey devient le président des Blue Jays de Toronto lorsque le Club de la Ligue américaine est racheté par Rogers avec l'argent de la pénalité de 240 millions que Québecor a dû lui verser pour avoir fait échouer sa tentative d'acquisition de Vidéotron.

Paul Godfrey a quitté les Blue Jays en 2008 mais il est aujourd'hui le PDG de Postmedia et c'est lui qui a négocié la transaction qui fera de son groupe le premier éditeur de journaux au Canada, tout en ne payant que 316 millions pour ce que Québecor a déjà payé 1,5 milliard.

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LES DATES IMPORTANTES

1998-1999

Québecor achète les journaux Sun Media pour 983 millions de dollars et devient le deuxième propriétaire de journaux en importance au pays. La transaction est négociée principalement par Pierre Karl Péladeau, qui dirige alors la division médias de Québecor. «C'est un grand jour pour le Canada», déclare M. Péladeau lors de l'annonce.

2003

Québecor vend le Florida Sun (sept hebdos anglophones aux États-Unis et une imprimerie) pour 25 millions.

2007

Québecor devient le plus important propriétaire de journaux du Canada en faisant l'acquisition des journaux et hebdos d'Osprey pour 517 millions.

2012

Pierre Karl Péladeau, alors président et chef de la direction de Québecor, amorce des discussions avec son homologue chez Postmedia, Paul Godfrey, afin de fusionner les journaux des deux entreprises. Le projet - tenu secret - ne se concrétisera pas, mais il sera la genèse d'une transaction annoncée deux ans et demi plus tard.

2014

Québecor vend ses 175 journaux et hebdos de Sun Media au Canada anglais, dont le Toronto Sun, à Postmedia pour 316 millions de dollars.