La réduction de 20% des crédits d'impôt consentis aux entreprises, une mesure décrétée dans le dernier budget Leitao, a semé son lot d'inquiétudes et une certaine consternation lorsqu'elle a été annoncée en juin dernier. Québec venait de mettre en péril des projets d'investissement qui reposaient justement sur un attrait financier majeur dont on venait de réduire la portée.

Les investissements d'entreprises du secteur minier, des sciences de la vie et de toutes les sociétés qui réalisent des dépenses importantes en recherche et développement allaient être pénalisés par cette coupe inscrite au chapelet des nouvelles mesures d'austérité.

La réduction de la taille des crédits d'impôt allait aussi directement altérer l'attractivité de Montréal comme pôle de développement des entreprises du secteur des jeux vidéo et de la production multimédia.

Québec allait compromettre la réalisation de nouveaux investissements d'entreprises existantes ou même empêcher l'implantation d'entreprises étrangères en quête d'expansion.

Le premier écho de cette éventualité nous est parvenu de Paris où notre collègue Vincent Brousseau-Pouliot nous apprenait que la société Technicolor revoyait la possibilité de doubler la taille de son studio d'effets visuels à Montréal en raison de la réduction du crédit d'impôt pour la production d'effets visuels, qui venait d'être ramené de 45 à 36%.

Deux semaines plus tard, à la fin du mois de juillet, Technicolor a pourtant décidé d'opter pour l'agrandissement du studio montréalais de sa filiale Moving Picture Company, qui deviendra le plus important studio d'effets visuels au Québec alors que ses effectifs passeront de 300 à 520 employés d'ici six mois.

La semaine dernière, la firme américaine d'effets spéciaux Atomic Fiction, basée à Oakland, a annoncé l'implantation d'un nouveau studio à Montréal, où l'entreprise prévoit compter plus d'une centaine d'employés d'ici les trois prochaines années.

Le but avoué d'Atomic Fiction est de faire de ses nouvelles installations montréalaises un studio qui «challengera» son centre opérationnel californien.

En entrevue, le cofondateur d'Atomic Fiction, Kevin Baillie, a déclaré que sa firme avait préféré Montréal malgré le fait que son crédit d'impôt ait été réduit de 45 à 36%.

L'entreprise avait notamment le choix de s'implanter à Toronto et de profiter d'un crédit d'impôt de 45% ou à Vancouver, où elle aurait pu profiter d'un dégrèvement fiscal de 50%.

Kevin Baillie s'est certes dit déçu de la réduction de 20% du crédit d'impôt québécois, mais il a précisé qu'il avait d'abord choisi Montréal en raison de son bassin de main-d'oeuvre spécialisée et extrêmement compétente et de la richesse de la vie culturelle montréalaise.

Plus besoin de béquilles?

Ces deux nouvelles annonces d'investissement dans le secteur des effets visuels - malgré la réduction des incitatifs financiers qui y étaient traditionnellement associés - nous indiquent-elles que le Québec a finalement atteint ses objectifs en favorisant la mise en place d'une expertise et d'une masse critique qui peuvent assurer maintenant à elles seules l'attractivité de Montréal dans ce domaine?

Lorsque le programme de crédits d'impôt à la production de titres multimédia a été instauré en 1997, le but de l'opération était d'attirer à Montréal des entreprises de ce secteur économique en développement. De miser sur la vague avec un plan audacieux pour que le Québec se taille une place dans cette nouvelle économie.

Dix-sept ans plus tard, plus d'une centaine d'entreprises du secteur des jeux vidéo et des effets visuels sont actives au Québec et elles emploient plus de 9000 personnes. Depuis 2002, le secteur affiche un taux de croissance de 700%.

Montréal devance aujourd'hui Vancouver et Toronto, mais son statut de capitale canadienne du multimédia est encore bien fragile, souligne Martin Carrier, président de l'Alliance numérique, qui regroupe les acteurs des entreprises québécoises du secteur.

«Oui, Montréal vient de décrocher deux investissements dans le secteur des effets visuels malgré la baisse du crédit d'impôt, mais il s'agit de projets qui cheminent depuis longtemps. Pour les nouveaux projets d'investissement, on va voir que la concurrence de Toronto et de Vancouver sera pas mal plus forte», observe Martin Carrier.

Le président de l'Alliance numérique rappelle que Vancouver a longtemps été - et jusqu'à récemment encore - la capitale canadienne du multimédia. Montréal pourrait lui aussi perdre rapidement son statut.

La commission Godbout sur la fiscalité des entreprises se penchera prochainement sur les effets potentiels de la réduction des crédits d'impôt et l'industrie du multimédia entend bien démontrer que, malgré ses largesses d'antan, le régime fiscal québécois en est quand même sorti gagnant.