Si la logique la plus élémentaire et un minimum de rationalité économique avaient prévalu à l'époque, les 14 millions de passagers qui transitent annuellement par l'aéroport de Dorval pour prendre l'avion et s'envoler vers à peu près partout à travers le monde partiraient plutôt aujourd'hui de l'aéroport de Mirabel pour accéder à des cieux plus cléments.

Bon, on ne refait pas l'histoire. Il faut vivre et composer avec les matériaux du présent. Mais on ne peut pas quand même s'empêcher de s'interroger sur la pertinence de certaines décisions qui ont été prises jadis et qui nous amènent aujourd'hui à cautionner des actions qui, à leur face même, nous apparaissent totalement absurdes.

Je comprends pleinement le désarroi du maire de Mirabel, Jean Bouchard, qui cherche par tous les moyens possibles à empêcher la démolition de l'ancienne aérogare de sa municipalité.

Il ne s'agit pas ici de sauver un bien patrimonial, mais de préserver une infrastructure relativement moderne et surtout réactualisable qui nous a coûté, rappelons-le, 500 millions de dollars, en 1975.

Si on avait fait correctement les choses à l'époque en complétant l'autoroute 13 et en établissant surtout un lien de transport rapide entre Mirabel et le centre-ville de Montréal, l'aérogare aujourd'hui condamnée serait celle qui serait toujours en activité.

Pour des raisons environnementales évidentes, l'implantation d'un aéroport en zone peu densément peuplée répondait à la logique d'une saine planification du développement urbain de Montréal.

La rationalité économique commandait aussi la fermeture graduelle des installations de Dorval et le regroupement des vols intérieurs et internationaux à Mirabel.

Les vastes terrains ainsi libérés à Dorval auraient pu être valorisés à fort prix pour la réalisation de projets de développement immobilier qui auraient freiné l'étalement urbain qui s'est accru de façon foudroyante depuis et qui fait aujourd'hui que l'autoroute 15 est quotidiennement bloquée aux heures de pointe entre Montréal et... Mirabel. Belle, mais triste coïncidence.

Les prévisions déjantées des décideurs de l'époque ont commandé le maintien des opérations des deux aéroports à Dorval et Mirabel et leur spécialisation respective: les vols intérieurs à Dorval et les vols internationaux à Mirabel.

Mauvaise décision, très mauvaise décision qui a découragé les voyageurs continentaux qui devaient réaliser un transit par Montréal avant de partir outre-mer. Décision qui a favorisé la fulgurante expansion de l'aéroport de Toronto qui a profité de la connivence complaisante du transporteur national Air Canada.

Vivre dans la réalité d'aujourd'hui

Pour plusieurs, presque 20 ans après la fin des vols passagers en partance de l'aérogare de Mirabel, l'aéroport de Dorval fait encore et toujours figure de cancre.

Si c'est vrai que le nouvel aéroport de Montréal a été incapable de répondre à la commande qu'on lui a imposée à l'époque, force est de constater que des progrès immenses ont été accomplis depuis grâce, faut-il le préciser, à la patience et l'indulgence forcées de ses usagers.

Bien sûr, l'aéroport de Montréal a mis du temps à s'ajuster à l'ampleur de son nouveau rôle. Si on avait investi, au début des années 70, les 500 millions de Mirabel pour améliorer ses dessertes et ses fonctionnalités d'aérogare internationale, on n'aurait pas la perception que l'on a aujourd'hui de l'aéroport de Dorval.

Mais pour avoir échangé avec plusieurs usagers d'affaires qui doivent prendre l'avion plus de 20 fois par année, l'aéroport de Montréal est nettement mieux positionné qu'il y a 10 ans seulement.

«Les dessertes internationales sont plus nombreuses et à meilleure fréquence. Les liens avec les villes américaines augmentent. La circulation est plus fluide», me raconte-t-on.

Bien sûr, l'absence de liaisons directes avec l'Asie demeure un irritant majeur et évoqué de façon récurrente, compte tenu du volume sans cesse grandissant de passagers qui les souhaitent et qui justifient leur implantation.

Mais, selon moi, l'insulte suprême pour l'aéroport de Montréal reste l'absence de nombreuses liaisons naturelles et attendues depuis des années vers des destinations desservies, notamment, par notre transporteur national Air Canada, mais à partir de Toronto.

Les citoyens québécois qui partent de Montréal pour se rendre à Rome doivent ainsi parcourir inutilement 545 kilomètres pour atterrir à Toronto et faire le trajet inverse avant d'entreprendre leur véritable odyssée vers la Ville éternelle. On parle ici d'au moins trois longues heures de pure perte de temps.

Je préfère, et de loin, prendre un vol vers Zurich et y passer trois heures en transit avant de réaliser une correspondance vers Rome.

À Zurich, j'aurai amplement le temps de prendre le train rapide vers le centre-ville, faire un tour du Vieux-Zurich et retourner, peinard, prendre mon vol.

Beaucoup mieux que de survoler de façon totalement inutile, deux fois plutôt qu'une, Kingston, en Ontario, en pleine nuit...