C'était l'été de mes 5 ans. Mes parents avaient décidé de louer un chalet au lac Ouareau, à Saint-Donat, question d'oxygéner un peu le cerveau de leurs six enfants et, surtout, de leur permettre d'évacuer le trop-plein d'énergie qui les habitait en permanence et qu'ils exprimaient habituellement de bruyante façon. Un projet fort louable dont l'exécution ne se révéla toutefois pas concluante.

L'été 1963 fut, de mémoire d'homme, l'un des étés les plus pluvieux de l'histoire contemporaine québécoise, ou à tout le moins des 50 dernières années dont je me souvienne...

Soucieux de la bonne aération mentale de sa progéniture, mon père avait décidé que la famille passerait l'été à la campagne, au bord d'un lac, alors que lui mènerait ses affaires comme à l'habitude, c'est-à-dire à bonne distance du nid familial. Il serait là, comme un seul homme, pour épauler notre mère les week-ends.

Mon père avait jeté son dévolu sur un petit chalet du lac Ouareau qui partageait une aire de jeux commune avec deux autres petites maisons du même acabit, c'est-à-dire d'une rusticité exemplaire.

Pour les rares fois où nous avons pu en profiter, la plage et le lac étaient accessibles par un long escalier aux marches de bois distribuées de façon aléatoire, qu'il fallait descendre avec précaution.

Des amis de mes parents et leurs deux jeunes enfants habitaient l'un des deux chalets voisins, tandis que l'autre était occupé par une jeune famille de Français, les Fafard, dont l'unique enfant, la petite Sylvie - 5 ans elle aussi - allait devenir, durant de brèves éclaircies, la compagne avec laquelle j'allais réaliser de courtes, mais inventives excursions exploratoires dans les bois avoisinants.

Cet été pluvieux aurait pu marquer pour moi le début foudroyant d'une vocation pour la médecine, l'anatomie ou la biologie humaine, mais un événement allait en décider autrement.

Jour après jour, donc, il pleuvait. Ma mère, mal prise et prisonnière dans un chalet minuscule avec ses six enfants sur les bras - dont un bébé naissant pour qui elle devait faire réchauffer les biberons sur un poêle à bois - avait à inventer chaque jour de nouvelles activités pour occuper sa «trâlée» d'enfants génétiquement turbulents.

Je me souviens des casse-têtes que l'on recommençait systématiquement, des constructions de maisons en bâtons de Popsicle, des kits de peinture à numéros ou des séances de défoulement à l'extérieur que ma mère nous imposait en nous enfilant prestement nos imperméables.

Des séances absolument nécessaires autant pour préserver la santé mentale de ma mère que pour trouver un exutoire expéditif à notre excitation naturelle.

Un jour de week-end, pluvieux comme de raison, mon père et le voisin Gustave ont décidé de prendre les choses en main et d'organiser une activité qui allait capter notre attention et notre énergie pour au moins une heure. Une heure durant laquelle la pluie n'aurait pas de prise.

Il s'agissait de participer à un concours d'histoires. Chacun des enfants sur place - on devait être une douzaine dans la minuscule pièce centrale du chalet - devait raconter une histoire. Celui qui réciterait la meilleure aventure remporterait un castor, c'est-à-dire une pièce de 5 cents.

Je ne me souviens plus des récits qui ont émaillé ce concours d'enfants, mais j'ai encore le souvenir que, subitement, tous les participants étaient devenus mes concurrents, ceux que je devais battre.

Pas le temps de niaiser ou de me laisser distraire, il fallait que je me concentre sur mon histoire et que je ne rate pas mon coup.

Lorsque mon tour arriva, je mis le paquet et j'entrepris de raconter le triste sort que venait de connaître un éléphant qui s'était soudainement retrouvé prisonnier d'une radio.

Impossible pour le gros éléphant de sortir de ce minuscule poste de radio en bois, où il était condamné à lire les dernières nouvelles, sans relâche et en boucle, bien avant l'information continue. Il n'y avait aucune issue possible pour lui à part déplorer sa très fâcheuse position.

Je me souviens qu'après une brève et très symbolique délibération avec lui-même à la fin du concours, Gustave, l'ami de mon père, me désigna du doigt en me proclamant grand vainqueur de l'épreuve et nouveau titulaire d'une pièce de 5 cents flambant neuve.

C'est là que j'ai compris que j'aimais raconter des histoires. À ma rentrée à l'école primaire, l'année suivante, je me suis rapidement mis à adorer les fameuses périodes de rédaction ou de composition, la seule activité pédagogique dont je faisais de grands comptes rendus à ma mère lorsque je rentrais pour dîner le midi.

Beaucoup plus tard, à l'université, je me suis inscrit en histoire. Ce n'est pas pour rien. Depuis maintenant 30 ans, je raconte chaque jour des histoires dans le journal.

De l'ennui né de la pluie incessante d'un été s'est révélée la passion d'une vie.