Les changements annoncés hier à la haute direction de Rio Tinto Alcan ont beau avoir été préparés consciencieusement depuis quelques mois déjà, il n'en reste pas moins que le départ de Jacynthe Côté à titre de PDG de son groupe aluminium constitue une lourde perte pour Rio Tinto tout autant que pour le Québec, qui perd un puissant allié au sein de la multinationale australo-britannique.

C'est avec une surprise certaine que j'ai appris hier matin que Jacynthe Côté, PDG de Rio Tinto Alcan (RTA) depuis cinq ans maintenant, quittait l'entreprise pour des raisons personnelles et dans le but de relever de nouveaux défis.

Dans un communiqué, le PDG de la multinationale minière, Sam Walsh, a fait l'éloge de la contribution de Mme Côté durant sa carrière de plus de 25 ans chez Alcan, avant d'annoncer que son successeur allait être Alfredo Barrios, un spécialiste de l'industrie pétrolière, jusqu'à tout récemment vice-président principal de la coentreprise russo-britannique TNK-BP.

Jacynthe Côté avait combattu et vaincu un cancer du sein il y a une dizaine d'années et ma première réaction a été de croire qu'elle devait reprendre son terrible combat de l'époque.

C'est plutôt pour accompagner sa fille, atteinte d'une autre forme de cette insidieuse maladie, que Mme Côté a décidé d'abandonner ses fonctions de PDG de RTA afin de prendre tout le temps nécessaire pour être auprès de sa famille.

Dans ses fonctions, Jacynthe Côté passait de 50 à 60% de son temps à l'étranger.

Que ce soit à Londres, où elle siégeait au comité exécutif de Rio Tinto; en Australie et en Nouvelle-Zélande, où RTA a des usines de bauxite, ou ailleurs en Europe, où le groupe dispose encore des centres d'électrolyse - reliquats de l'acquisition de Pechiney - et enfin en Colombie-Britannique, où elle modernise son usine de Kitimat.

Jacynthe Côté a évidemment pris la bonne décision, mais elle va laisser un grand vide au sein de l'entreprise qu'elle connaissait à fond et depuis toujours.

Originaire de Normandin, au Lac-Saint-Jean, Mme Côté a pu apprendre dès les premiers jours de son enfance toute l'importance que l'aluminium revêt pour cette région du Québec.

Ce n'est donc pas un hasard si elle a fait des études en chimie avant de se joindre à Alcan, en 1988, à titre d'analyste en procédés à l'usine Vaudreuil, au Saguenay.

Arbitrer la globalisation

Jacynthe Côté est devenue PDG de RTA en 2009, un an après la finalisation de l'achat d'Alcan par Rio Tinto au prix de 38 milliards US. On était en pleine crise économique mondiale lorsque les prix de l'aluminium ont fait le grand plongeon pour passer de 3000$ US la tonne à 1300$ US.

En cinq ans, Jacynthe Côté a réduit de 600 000 tonnes la production annuelle mondiale de son groupe, ce qui a conduit à la fermeture de l'usine de Beauharnois (50 000 tonnes) en 2009 et de celle de Shawinigan (100 000 tonnes) l'an dernier.

Malgré le contexte éminemment difficile, la PDG a tout de même réussi à amener Rio Tinto à investir 1,1 milliard dans l'implantation d'une nouvelle technologie de production à son usine d'Arvida et 3,5 milliards pour la transformation de l'usine Kitimat, en Colombie-Britannique.

C'est ainsi que Rio Tinto Alcan a été le producteur mondial d'aluminium qui a le plus investi au cours des cinq dernières années, tout en demeurant néanmoins rentable en dégageant notamment des profits de 557 millions l'an dernier.

Mais Jacynthe Côté a surtout permis une intégration «civilisée» au modèle de gestion de la multinationale Rio Tinto, en défendant certaines caractéristiques culturelles de l'ancienne Alcan.

Lorsqu'une multinationale comme Rio Tinto réalise une acquisition, elle impose ses modes de gestion et exige l'intégration de ses processus. La gestion devient plus rigide, managériale, autoritaire.

Rio Tinto Alcan n'a plus de siège social à Montréal, malgré les promesses faites lors de la fusion avec Rio Tinto, en 2007. Le centre administratif de RTA à Montréal est devenu un «central office» pour la multinationale, dont le siège social est à Londres.

Malgré tout, Jacynthe Côté a réussi à plus d'une occasion à arbitrer la volonté intégrationniste de la multinationale en orchestrant une plus grande collégialité dans la prise de décisions.

Elle a su défendre certains dossiers qui peuvent sembler mineurs - comme le maintien de la commandite RTA au Festival international de Jazz -, mais qui ont une importance capitale dans la perception que les gens se font d'une entreprise.

À cet égard, son successeur aura fort à faire pour bien saisir la place qu'a toujours occupée l'ancienne Alcan et le rôle qu'elle doit encore remplir.