Pangea, la dernière société que vient de créer l'entrepreneur Charles Sirois pour rentabiliser l'exploitation agricole au Québec, suscite des réactions diverses dans le monde de la ruralité, qui vont de la simple inquiétude à l'hostilité ouverte.

Dans La Presse Affaires de samedi, l'entrepreneur Charles Sirois et son associé Serge Fortin ont présenté le concept derrière Pangea, une entreprise créée il y a un an et demi et qui s'est donné le mandat de valoriser le patrimoine agricole québécois en mettant sur pied - en partenariat avec des agriculteurs d'ici - des coentreprises d'exploitation agricole de grande envergure.

Le constat des deux promoteurs de Pangea est que l'agriculture pratiquée à petite échelle ne permet pas une rentabilité suffisante pour exploiter le plein potentiel agricole et assurer le transfert intergénérationnel des fermes au Québec.

Pangea s'entend avec un agriculteur qui exploite une ferme de 400 acres pour lui procurer 1600 acres additionnels de terres à cultiver. Elle s'engage à outiller la nouvelle entreprise et à payer ses intrants après avoir cédé à l'agriculteur associé 51% du contrôle de la nouvelle société d'opération agricole (SOA).

Pangea a déjà acquis 10 000 acres de terres cultivables au Québec et aura bientôt créé 6 SOA, soit 4 au Lac-Saint-Jean, 1 dans les Cantons-de-l'Est et 1 dans L'Assomption. La nouvelle société étendra cette année son modèle en Ontario avant d'attaquer le nord-est des États-Unis et, ultimement, de l'implanter en Afrique.

Depuis samedi, j'ai reçu de nombreux courriels de lecteurs qui étaient soit emballés, soit très ambivalents face à ce nouveau modèle de développement agricole.

Les promoteurs de Pangea assurent qu'ils ne sont pas là pour spéculer sur le prix des terres agricoles. Ils s'engagent à ne jamais transformer le zonage des terres acquises et à maintenir leur association sur une période de 50 ans.

«Pendant ces 50 ans, est-ce que ce sont les promoteurs qui décident ce que l'agriculteur associé devra semer? Qu'est-ce qui arrive après 50 ans?», s'interrogeait une lectrice.

Selon Pangea, ce sont les agriculteurs associés qui décident ce qu'ils voudront semer. Ils sont le mieux placés pour savoir quelles céréales obtiendront les meilleurs rendements.

La période de 50 ans est symbolique puisque les deux fondateurs de Pangea ne seront évidemment plus de ce monde à l'échéance, l'idée étant d'assurer la pérennité de l'agriculture québécoise et que Pangea leur survive...

La financiarisation de l'agriculture

Les réactions sont plus vives chez les intervenants de la ruralité. À la Fédération de la relève agricole du Québec, on s'inquiète du déploiement rapide de Pangea et de l'accaparement des terres agricoles au détriment de la relève.

«Ils [Pangea] contribuent au phénomène de financiarisation des terres agricoles: la concentration des actifs crée une pression à la hausse sur les prix... La relève ne peut plus espérer acquérir une terre... Le rêve d'un jeune est de devenir propriétaire de la terre qu'il cultive, pas le locataire des terres de Pangea», m'a écrit Yourianne Plante, de l'organisme agricole.

En entrevue, la porte-parole précise que Pangea est toutefois un bien moindre mal que les fonds d'investissement qui, eux, spéculent carrément sur la valeur des terres agricoles.

Le président de l'Union des producteurs agricoles (UPA), Marcel Groleau, est pour sa part tout à fait hostile au plan d'affaires de Pangea qui, selon lui, n'est rien de moins qu'un modèle raffiné d'accaparement des terres qui déchirera, à terme, le tissu social de la région.

«Au Lac-Saint-Jean, Pangea a fait exploser le prix des terres. Ce qui empêche les agriculteurs locaux de prendre de l'expansion. Ils ne peuvent pas payer le prix que paie Pangea», déplore Marcel Groleau.

Selon les chiffres de l'UPA, la valeur moyenne des terres en cultures au Saguenay-Lac-Saint-Jean est passée de 1500$ l'hectare en 2010 à 3770$ l'hectare en 2012.

Marcel Groleau soutient aussi que Pangea attaque la mixité traditionnelle des fermes (élevage et culture) en privilégiant la culture céréalière à haute densité et désertifie la région.

«Avant, sur 2000 acres de terres, on avait 12 familles qui travaillaient. Là, on n'aura plus que 4-5 personnes pour la même superficie», avance-t-il.

Serge Fortin, copromoteur de Pangea, était surpris hier d'entendre pareilles affirmations.

«On ne spécule pas. Quand on achète une terre, notre modèle prévoit qu'il faut rembourser capital et intérêts sur une période de 15-20 ans. Si ça ne cadre pas, on ne l'achète pas.

«Sur les 10 000 acres de terres qu'on a achetés au Saguenay-Lac-Saint-Jean, il n'y avait que 4 maisons. On est loin du ratio de 12 familles par 2000 acres, et certains de nos agriculteurs associés ont gardé leurs activités laitières», relève-t-il.

Chose certaine, en lançant à la vitesse grand V leur projet de consolidation d'une partie des terres agricoles québécoises, les promoteurs de Pangea viennent d'ouvrir un débat qui n'a pas fini d'être alimenté.