Si Hydro-Québec ne lui consent pas une importante réduction de ses tarifs d'électricité, le producteur américain Alcoa menace de fermer ses trois alumineries au Québec. La multinationale a donc décidé d'aborder les négociations avec Québec sur le mode de la brutalité. Pas subtil comme approche, mais manifestement efficace.

La nouvelle est sortie mardi soir, sans aucun filtre pour en nuancer la portée. Alcoa va fermer ses trois usines dès le 1er janvier 2015 si le gouvernement québécois ne révise pas le nouveau tarif industriel (tarif L) qu'Hydro-Québec doit implanter.

Une nouvelle qui a évidemment fait frémir les 3300 travailleurs d'Alcoa et les communautés où les trois alumineries du groupe sont implantées. Une nouvelle qui a été amplifiée par les partis d'opposition à Québec, qui ont pressé le gouvernement d'agir.

Alcoa est le plus important client industriel d'Hydro-Québec. À elle seule, l'entreprise a dépensé 350 millions de dollars pour s'approvisionner en électricité l'an dernier, ce qui représente près de 3% des 12 milliards des revenus totaux de la société d'État.

Alcoa et les autres gros clients industriels bénéficiaires des contrats secrets à tarifs réduits ont convenu en 2008, en plein boom des prix des métaux, d'accepter une hausse de tarif qui allait passer de 3,0 cents à 4,4 cents le kilowattheure, le 1er janvier 2015.

Les gros clients industriels d'Hydro-Québec avaient donc sept ans devant eux pour voir venir les choses et s'ajuster à ce nouveau contexte tarifaire.

Le problème, c'est que l'environnement concurrentiel des alumineries s'est lamentablement détérioré depuis, alors que le prix de la tonne d'aluminium, qui était à 3000 $US en 2008, est tombé aussi bas qu'à 1200 $US, avant de se stabiliser aujourd'hui à 1850 $US.

Les coûts d'approvisionnement en énergie se sont eux aussi considérablement transformés depuis 2008, alors que l'exploitation de quantité de nouveaux gisements de gaz naturel de schiste a fait chuter les prix.

Au point que même à 3 cents le kilowattheure, le tarif préférentiel d'Hydro-Québec est aujourd'hui 25% plus élevé que celui payé par les producteurs américains qui achètent leur gaz naturel sur le marché spot.

Terrain d'entente

Cette réalité-là, Hydro-Québec la connaît bien, tout comme le gouvernement québécois.

Alcoa, qui avait déjà formulé sa position et ses inquiétudes de façon beaucoup plus posée, le 8 octobre dernier, au cours des consultations de la Commission sur les enjeux énergétiques, signalait que la mise en application du nouveau tarif L serait, pour elle, hautement problématique.

«La modernisation de l'aluminerie de Baie-Comeau ne peut se faire, et la pérennité des alumineries de Deschambault et de Bécancour est en péril dès 2015», souligne le mémoire d'Alcoa. Un ton moins tranchant et moins vindicatif que celui utilisé cette semaine.

Le gouvernement québécois n'aura d'autre choix que de moduler de nouveau sa grille tarifaire pour ses gros clients industriels afin que le Québec demeure une terre d'asile concurrentielle pour la grande industrie.

Lorsqu'il a dévoilé sa politique économique, au début du mois d'octobre, le ministre des Finances, Nicolas Marceau, a dit vouloir utiliser à rabais les surplus d'électricité d'Hydro-Québec pour susciter de nouvelles implantations industrielles au Québec.

Nous avions demandé au ministre pourquoi il ne pratiquerait pas la même approche avec les alumineries qui militaient depuis plusieurs mois déjà pour qu'on abroge la mise en place du nouveau tarif L.

«Les alumineries, c'est un autre dossier, et elles vont faire l'objet d'une négociation parallèle», m'avait répondu Nicolas Marceau.

Parce qu'il n'est pas évident de réduire les tarifs - déjà fort avantageux - des grandes entreprises quand Hydro-Québec veut obtenir de la Régie de l'énergie une hausse de tarif de 5,8% pour ses clients résidentiels à partir d'avril 2014.

Alcoa a des actifs importants au Québec. Elle a dépensé 1 milliard, en 1990, pour construire son aluminerie de Deschambault, d'une capacité de 250 000 tonnes par année.

Elle a investi, en 1986, 1,65 milliard dans son usine de Bécancour, d'une capacité de 410 000 tonnes par année, et 1,65 milliard dans son complexe de Baie-Comeau (400 000 tonnes par année), qui date de 1957 et qui doit être modernisé.

Il m'apparaît pour le moins excessif qu'Alcoa menace de sacrifier les actifs de très grande valeur qu'elle a au Québec, alors que tous souhaitent qu'une entente tarifaire soit conclue.