L'utilisation de 45 travailleurs étrangers temporaires pour réaliser des tâches et même remplacer des employés permanents des services techniques de la Banque Royale à Toronto a semé colère et consternation cette semaine. Avec raison, parce qu'il s'agit d'un détournement scandaleux d'un programme pourtant tout aussi utile que méconnu du grand public.

La Banque Royale tout comme le gouvernement fédéral - responsable de la gestion du programme des travailleurs étrangers temporaires - n'ont pas eu l'air très fin lorsqu'on a appris, en début de semaine, que des employés prochainement licenciés des services techniques de la banque étaient affectés à la formation de travailleurs étrangers temporaires qui vont bientôt occuper leurs postes.

La Banque Royale, qui veut délocaliser une quarantaine de postes de soutien technique en Inde, s'est prévalue du programme des travailleurs étrangers temporaires pour former ses futurs employés à Toronto. C'est bien beau, la sous-traitance, mais c'est tout le contraire que vise ce programme d'embauche temporaire de travailleurs étrangers.

Depuis quelques années, une entreprise canadienne peut avoir recours à de la main-d'oeuvre spécialisée étrangère lorsqu'elle fait la preuve que les ressources qu'elle sollicite sont inexistantes dans son environnement immédiat.

L'entreprise doit également assurer que les conditions de travail de ces travailleurs temporaires sont les mêmes que celles de ses travailleurs canadiens qui réalisent le même boulot, dans la même usine.

Il n'est pas question ici de permettre l'embauche de cheap labour pour réduire les frais d'exploitation d'une société canadienne, mais de la dépanner parce qu'elle n'arrive pas à combler ses besoins de main-d'oeuvre. Le cas catastrophe de la Banque Royale - qui aurait été imitée par d'autres institutions financières canadiennes, selon la rumeur des médias sociaux - contrevenait totalement aux paramètres du programme puisque les travailleurs étrangers en stage d'apprentissage à Toronto étaient payés au tiers du salaire de leurs formateurs qu'ils devront éventuellement remplacer...

Un programme nécessaire

Plusieurs ont appris l'existence du programme des travailleurs étrangers temporaires par la forte médiatisation de l'exemple erratique de la Banque Royale, et nombre d'entre eux sont donc convaincus qu'il s'agit d'un programme pervers qui doit être aboli au plus vite. Ce n'est pourtant pas le cas.

Dans le Québec industriel d'aujourd'hui, le programme des travailleurs étrangers temporaires est une nécessité absolue pour quantité d'employeurs qui n'arrivent pas à combler leurs besoins de main-d'oeuvre.

Mardi, j'étais à Saint-Georges de Beauce pour rencontrer Charles Dutil, président de Manac, plus important manufacturier canadien de semi-remorques. L'usine de Saint-Georges roule à bonne cadence. Plus de 400 travailleurs y assemblent, sept jours sur sept, une cinquantaine de semi-remorques. La semaine, les ouvriers travaillent sur deux horaires, et une autre équipe assure la production de week-end.

L'an dernier, Charles Dutil a dû avoir recours au programme de travailleurs étrangers temporaires afin de pourvoir des postes de soudeurs. Il n'arrivait pas à trouver des soudeurs dans le bassin de main-d'oeuvre de la région.

«Des soudeurs pour travailler la semaine, de jour ou de soir, j'en ai. Mais c'était impossible de trouver des soudeurs qui étaient prêts à travailler durant les fins de semaine. On a donc embauché 15 soudeurs portoricains sur une base temporaire.

«Ils sont chez nous pour 18 mois, et si je n'arrive pas à combler mes besoins, je vais demander une prolongation de visas et ça peut même aller jusqu'à des demandes de citoyenneté», m'explique l'entrepreneur.

Un problème généralisé

Cette pénurie de soudeurs n'est pas unique à la Beauce, c'est une réalité qui perdure depuis une dizaine d'années et qui affecte toutes les régions du Québec. Une réalité à laquelle m'avait sensibilisé à l'époque le commissaire industriel de Drummondville, Alex Buissière.

Croisé hier à l'Événement Carrières - un genre de Salon de l'emploi - au Palais des congrès de Montréal, il en a rajouté.

«Les jeunes ne suivent plus de formation de métier. Soit ils abandonnent l'école, soit ils vont à l'université. Depuis 10 ans, on est en pénurie constante de soudeurs, de tôliers, d'assembleurs ou de machinistes à Drummondville.

«On a systématiquement recours au programme de travailleurs étrangers temporaires pour trouver des gens de métier qui ont de l'expérience», m'explique Alex Buissière, entre deux rencontres à son stand de la Société de développement économique de Drummondville.

Pas moins d'une centaine d'emplois industriels sont disponibles dans les entreprises qu'il représente. Dans certains cas, il s'agit de besoins urgents qui vont nécessiter l'embauche de travailleurs de l'extérieur.

«Avec le temps, le programme est devenu extrêmement performant, alors qu'il faut compter un délai moyen de trois mois pour clore un dossier. On peut parfois aller chercher des compétences manquantes en l'espace d'un mois seulement», poursuit Alex Buissière.

La Banque Royale et le gouvernement fédéral ont peut-être terni l'image de ce programme, mais il demeure d'une extrême utilité pour bien des entreprises qui désespèrent de poursuivre leur développement, faute de compétences prêtes à les épauler.