Voilà, c'est fait. Un juge de la Cour supérieure de l'Ontario a confirmé hier ce que le grand public soupçonnait depuis près de 10 ans maintenant. Nortel, plus grande entreprise canadienne de technologies de tous les temps, était dirigée par des innocents qui l'ont conduite à la faillite.

Frank Dunn, ex-PDG de Nortel, Douglas Beatty, ex-chef de la direction financière, et Michael Gollogly, ex-contrôleur de l'équipementier en télécommunications, ont été acquittés des accusations d'avoir travesti les états financiers de leur entreprise en 2002 et 2003 dans le but de pouvoir encaisser des primes au rendement.

Il faut préciser toutefois que même si les trois ex-dirigeants de Nortel ont beau être innocents aux yeux de la loi, ils paraissent encore coupables aux yeux de bien des actionnaires d'avoir entraîné leur entreprise à sa perte.

La Couronne, qui accusait les trois hommes d'avoir conspiré en vue de commettre un crime, a échoué à en faire la preuve hors de doute raisonnable, selon le juge Frank Marrocco, et c'est la raison pour laquelle il a prononcé leur acquittement hier pour mettre un terme à un procès attendu depuis longtemps.

Les faits reprochés au trio de dirigeants remontent à il y a 10 ans. Nortel était à l'époque en plein tumulte et se débattait avec l'énergie du désespoir pour redevenir l'ombre de ce qu'elle était seulement trois ans plus tôt.

En 2000, au zénith de la bulle technologique, Nortel s'était hissée au rang des principales entreprises mondiales de haute technologie.

Du jour au lendemain, les marchés décident de sanctionner l'irrationnelle valorisation des titres du secteur technologique et Nortel n'échappe pas au carnage. La descente aux enfers du groupe canadien est amplifiée par son incapacité à livrer le taux de croissance annuelle de 35% qu'avait annoncé son président de l'époque, John Roth.

En un an, le titre de Nortel - qui avait touché un sommet à 124,50$ en août 2000 - tombe à 7,60$. En novembre 2001, Frank Dunn, qui était jusque-là le chef de la direction financière, succède à John Roth à la tête de l'entreprise qui compte déjà près de 50 000 employés de moins dans son réseau mondial.

Frank Dunn et son équipe poursuivent la rationalisation et tentent de remettre Nortel sur les rails. Rien n'y fait. En 2002, les pertes continuent de s'accumuler, le nombre d'employés passe de 46 000 à 36 000 et la valeur de l'action tombe à 2$.

C'est à ce moment-là que le conseil d'administration de Nortel décide de mettre sur pied un programme de bonification - notamment pour ses hauts dirigeants - qui s'appliquera dès que l'entreprise retrouvera la rentabilité.

Après un premier trimestre de profits, les dirigeants auront droit à 20% de leur prime et ils pourront se partager une tranche additionnelle de 40% s'ils réussissent à aligner un deuxième trimestre consécutif à l'encre noire.

Et, coïncidence, c'est ce qui se produit au début de 2003. Après trois années de pertes consécutives, Nortel réussit à boucler un premier trimestre profitable grâce au transfert de provisions excédentaires qui avaient été comptabilisées en 2002 et qu'on a transformées en revenus additionnels pour les deux premiers trimestres de 2003.

Ce retournement inespéré a permis à l'action de Nortel de passer de 2$ à 8$ et aux trois hauts dirigeants d'encaisser une prime de 12,8 millions.

Le problème, c'est que cette embellie n'a été que très temporaire et que Nortel a dû revoir dès 2004 ses états financiers antérieurs. Une révision qui a annulé les profits miracles de 2003.

Bref, le juge estime que toutes ces opérations, bien qu'elles aient été complexes, ne cachaient pas pour autant une conspiration organisée en vue de commettre un crime, d'où l'acquittement.

Il n'en reste pas moins que si Frank Dunn et ses deux principaux lieutenants n'avaient pas cherché à précipiter, en 2002 et 2003, le retour à la profitabilité de Nortel, l'entreprise aurait peut-être été en mesure d'émerger de sa descente aux enfers.

L'instauration d'un inextricable fouillis financier a plutôt grandement contribué à enliser davantage le géant canadien des télécoms pour le conduire, ultimement, à la faillite.