On s'y attendait depuis quelques années déjà et c'est donc sans surprise qu'on a appris le départ à la retraite de Stephen Jarislowsky, 87 ans, le financier montréalais le plus connu du Canada. Ce qui est surprenant, c'est que cette annonce coïncide avec le départ de deux de ses plus proches collaborateurs qui abandonnent Jarislowsky Fraser pour fonder leur propre firme d'investissement.

Stephen Jarislowsky préparait depuis quelques années sa succession au poste de président et chef de la direction de la société qu'il a fondée en 1955 à Montréal, et qui a déjà géré jusqu'à 55 milliards de dollars en placements financiers.

Il avait confié récemment à ma collègue Hélène Baril - dans un portrait à paraître dans le prochain numéro de La Presse Affaires Magazine - qu'il entendait quitter ses fonctions d'ici la fin de l'année.

C'est finalement lundi, à la suite d'une réunion du conseil d'administration tenue à Toronto, que M. Jarislowsky a décidé d'annoncer son départ qui a lieu en même temps que celui de deux piliers de sa firme, Len Racioppo, président et président du comité de stratégie d'investissement, et Marc Trottier, membre du comité exécutif.

Les deux associés vont quitter leurs fonctions chez Jarislowsky Fraser à la fin du mois pour fonder leur propre société de gestion-conseil. Et c'est cette décision qui a précipité l'annonce du départ de M. Jarislowsky, a expliqué hier, en entrevue, Pierre Lapointe, qui a été nommé président du comité de direction de quatre associés qui va remplacer le poste de PDG chez Jarislowsky Fraser.

Le communiqué qui a annoncé ces changements lundi soir était assez ambigu, puisqu'on expliquait que ces mouvements de troupes visaient à faciliter le processus de planification de la succession de la société.

Il fallait comprendre succession à la direction de la société et non pas planification successorale de M. Jarislowsky. Si cela avait été la dernière option, on aurait pu interpréter le départ de MM Racioppo et Trottier comme le résultat d'un différend sur la propriété future de la firme.

«Cela n'a rien à voir. MM Racioppo et Trottier ont décidé de quitter la société et on a donc décidé d'annoncer en même temps le départ prévu depuis longtemps de M. Jarislowsky à titre de PDG, dit Pierre Lapointe.

«M. Jarislowsky ne quitte pas la firme qu'il a fondée. Il reste comme président du conseil et il continue de gérer une multitude de comptes personnels. Il va tout simplement délaisser les opérations courantes et c'est le comité de direction que je préside qui va lui succéder», explique M. Lapointe, en poste chez Jarislowsky Fraser depuis 27 ans.

M. Lapointe, qui était vice-président exécutif et directeur du comité exécutif depuis 1995, insiste pour dire qu'il s'agit strictement d'un processus de succession du management et que rien ne change dans la philosophie et la politique de gestion «conservatrice» de la firme, réputée pour son style d'investisseur à long terme.

Depuis des lustres, Jarislowsky Fraser a toujours réussi à se classer parmi le top 10 des meilleurs gestionnaires de fonds au Canada. Stephen Jarislowsky y a imprimé son approche simple: investir dans des entreprises dont on comprend bien les activités et conserver ses investissements le plus longtemps possible.

Au fil des décennies, la firme s'est fait confier une multitude de mandats de gestion d'actifs de caisses de retraite, de fondations et de comptes d'entreprises. La firme a aujourd'hui quelque 37 milliards d'actifs financiers sous gestion.

Si le montant semble impressionnant, il est nettement inférieur à ce qu'a déjà géré Jarislowsky Fraser dans un passé encore tout récent. En 2006, ce sont 55 milliards d'actifs qui étaient sous la gestion de la société montréalaise. Au sortir de la crise boursière de 2008, ses actifs sous gestion n'étaient plus que de 43,4 milliards.

On le sait, depuis 10 ans, les rendements sur les marchés boursiers nord-américains ont été nuls. Jarislowsky Fraser a souffert de cette disette de rendement d'autant qu'elle n'investit que sur le marché des actions.

Stephen Jarislowsky n'a jamais voulu s'aventurer dans les hedge funds, les fonds d'infrastructures ou les fonds immobiliers, «ces patentes» complexes qu'il ne comprenait pas. Au-delà de leurs innombrables défauts, certains de ces nouveaux instruments financiers ont cependant livré leur part de rendement.

L'un des paris de la nouvelle équipe de direction de Jarislowsky Fraser sera justement d'arrimer la politique «conservatrice» d'investissement de la firme à la modernité des nouveaux instruments financiers.