Il y a de ces projets dont on parle durant des années, mais qui ne se réalisent jamais et, beaucoup plus rarement, il y a de ces projets dont personne n'a jamais entendu parler qui sont soudainement annoncés. Les gens de Bécancour ont eu droit cette semaine à la deuxième catégorie, celle - beaucoup plus joyeuse et opportune - des projets-surprises.

Depuis l'élection du gouvernement péquiste le mois dernier, les citoyens de Bécancour ont vécu le chaud et le froid. Ils ont d'abord appris la fermeture de la centrale nucléaire Gentilly-2, une éventualité à laquelle ils s'attendaient depuis des années, mais qu'ils refusaient toutefois d'envisager.

On les comprend. Les 800 emplois liés à l'exploitation même de la centrale et toute l'activité indirecte que cette opération d'Hydro-Québec génère auprès des entreprises manufacturières et de services de la région représentent un ancrage économique capital pour la Mauricie.

Les promesses de démarchage agressif et de redéploiement industriel que s'est empressé de formuler le gouvernement n'ont rien fait pour rassurer la population inquiète. Un fonds de 200 millions de dollars peut difficilement suppléer à la disparition de 800 emplois bien rémunérés, tous en conviennent.

Mais voilà que, cette semaine, la Coop fédérée nous confirme qu'elle s'est entendue avec l'importante coopérative indienne Indian Farmers Fertiliser Cooperative (IFFCO) pour établir une usine d'engrais azoté dans le parc industriel de Bécancour.

La Presse Affaires avait bien éventé le projet en août dernier, mais, depuis l'annonce de la fermeture de Gentilly-2, tout le monde semblait l'avoir oublié.

On parle ici d'un investissement majeur de 1,2 milliard qui mobilisera 1500 travailleurs durant les travaux de construction, qui s'échelonneront de 2014 à 2017, et 200 travailleurs spécialisés, une fois l'usine érigée.

La coopérative indienne IFFCO contrôlera 52% de l'équité de la coentreprise, la Coop fédérée 16%, Investissement Québec 16% et le partenaire Pacific Gateway 16%.

C'est en raison de critères stratégiques que l'emplacement de Bécancour a été retenu, soit en raison de son accès à un port et à un chemin de fer ainsi que la facilité de s'y approvisionner en gaz naturel. L'urée qui sera produite à Bécancour est fabriquée à partir de gaz naturel.

Si personne n'avait entendu parler de ce projet industriel avant tout récemment, c'est que sa conclusion s'est faite en un temps record, explique Claude Lafleur, chef de la direction de la Coop fédérée.

«On a commencé à entendre parler du projet il y a huit mois, mais les discussions ont vraiment commencé il y a quatre mois seulement. On n'aurait jamais embarqué dans cette aventure sans IFFCO, qui est une coopérative gigantesque avec ses 50 millions de membres et qui a une expertise unique dans la production d'engrais», résume le PDG.

C'est par l'entremise du bureau d'Investissement Québec à Bombay qu'IFFCO a été orientée vers le Québec et la Coop fédérée. L'entreprise indienne exploite cinq usines de production d'engrais en Inde et est copropriétaire d'usines à Oman, en Jordanie et au Sénégal.

IFFCO voulait implanter une nouvelle unité de production et ses dirigeants ont visité 51 emplacements différents dans le monde. À la fin, la coopérative indienne hésitait entre la Louisiane et Bécancour.

«Notre forme de partenariat les a convaincus d'opter pour Bécancour», expose Claude Lafleur.

La Coop fédérée s'est engagée à absorber la moitié de la production annuelle de 1,2 million de tonnes d'urée qui sera produite à Bécancour et le partenaire indien prendra l'autre moitié. La coopérative québécoise dispose d'un réseau pancanadien de 175 magasins d'engrais et réalise des revenus annuels de 600 millions dans ce seul secteur.

«On va remplacer l'urée qu'on achetait en Jordanie ou en Russie par l'urée qu'on va produire à Bécancour. On a aussi trouvé un débouché industriel qui va nous permettre d'écouler 80 000 tonnes par année auprès de clients déjà trouvés. IFFCO va conserver sa production de 600 000 tonnes pour ses propres besoins», explique Claude Lafleur.

L'urée est un engrais essentiel pour la culture du maïs. L'Inde et sa population de près de 1,3 milliard d'habitants a un besoin incessant de régénérer ses sols. Les prix fort avantageux du gaz naturel en Amérique du Nord ont fait de Bécancour un emplacement idéal pour la nouvelle implantation que cherchait à réaliser IFFCO.

Les hauts dirigeants d'IFFCO ont assisté au congrès mondial de la coopération qui se déroule à Québec où ils ont tenu à rencontrer les responsables politiques québécois de même que le PDG de la Caisse de dépôt.

Hier, le président d'IFFCO, le Dr U.S. Awashi, et le PDG de la Coop fédérée ont survolé en hélicoptère l'emplacement de la future usine dans le parc industriel de Bécancour. Visiblement, la lune de miel se passe à merveille entre les acteurs de ce projet industriel tout aussi inespéré qu'inattendu dans une région qui en avait bien besoin.