Dix jours après avoir révélé à ses actionnaires que son conseil d'administration avait refusé une proposition d'acquisition amicale de la part du groupe Lowe's, la haute direction de Rona s'est enfermée depuis dans le mutisme le plus total, visiblement en attente d'une prochaine offre de son concurrent américain.

Rona a dévoilé hier les résultats financiers de son deuxième trimestre et, comme à l'habitude, le président, Robert Dutton, et son chef de la direction financière, Dominique Boies, ont commenté ces résultats au cours d'une téléconférence avec les analystes financiers.

Il n'était toutefois pas question de commenter la proposition d'acquisition de Lowe's et encore moins d'épiloguer sur les raisons qui ont amené le conseil d'administration de Rona à la rejeter.

Les analystes financiers avaient été avisés de ne pas poser de questions sur ce sujet bien précis avant le début de la téléconférence tout comme les journalistes ont été avertis que la haute direction de Rona n'allait accorder aucune entrevue en marge du dévoilement de ses résultats financiers. Les consignes étaient donc on ne peut plus claires.

Cela étant dit, Rona a présenté des résultats conformes aux attentes des analystes. Pour la première fois au cours des quatre derniers trimestres, Rona affiche enfin des ventes en magasins en hausse, de 1% par rapport à l'an dernier.

Les revenus totaux du groupe (distribution et détail) ont atteint 1,4 milliard de dollars, en hausse de 3,4% par rapport au trimestre équivalent de 2011. Les profits ont enregistré une progression de 17,7% par rapport à l'an dernier pour atteindre 43,6 millions.

La comptabilisation d'éléments exceptionnels a réduit de 9,5 millions les bénéfices nets, qui s'élèvent à 34,1 millions, inférieurs aux 37 millions dégagés l'an dernier.

Selon Robert Dutton, cette embellie financière démontre que la mise en place de la nouvelle stratégie de détail de Rona porte ses fruits. La chaîne québécoise de quincailleries a décidé de réduire le nombre de ses «mégacentres» de rénovation au profit de l'ouverture de magasins plus petits, des magasins de proximité.

Cette allusion au redéploiement commercial du groupe faisait directement allusion à l'argument central qu'a évoqué il y a 10 jours le conseil d'administration de Rona pour justifier le rejet de l'offre de Lowe's qui proposait de payer 14,50$ pour chacune des actions en circulation de Rona.

Robert Dutton, qui devait commenter plus à fond la décision de son conseil d'administration au lendemain du rejet de l'offre de Lowe's, avait reporté ses commentaires pour le surlendemain avant de décider finalement de garder le silence.

Ce qu'il continuera de faire jusqu'à ce que Lowe's ne revienne avec une nouvelle proposition, une offre bonifiée qui sera directement présentée aux actionnaires de Rona, une offre publique d'acquisition (OPA) en bonne et due forme.

«C'est au conseil d'administration de commenter la situation, pas à M. Dutton. Le conseil réagira publiquement en fonction des événements à venir», a expliqué hier Michelle Laberge, directrice des communications de Rona.

Tout le monde est donc en mode alerte. Le conseil de Rona, sa haute direction, les actionnaires et, évidemment, les marchands et les 30 000 employés du groupe attendent la prise 2 de Lowe's et la suite des événements.

Cet attentisme des principaux intéressés ne signifie pas pour autant qu'ils sont passifs ou encore inactifs. Le Financial Post rapportait hier que de nombreux marchands Rona ont décidé d'augmenter leur participation au capital de l'entreprise en achetant des actions sur le marché dans le but de bloquer une OPA de Lowe's.

Selon les données obtenues auprès de marchands Rona, le groupe de propriétaires de quincailleries détiendrait près de 12% des actions de l'entreprise.

Stéphane Gagnon, l'un des marchands propriétaires qui a confirmé au Financial Post que les affiliés augmentaient leur part dans l'actionnariat du groupe, m'avait indiqué, il y a 10 jours, qu'il allait s'opposer fermement à toute tentative d'OPA du groupe Lowe's.

«On a mis en place une nouvelle stratégie qui commence déjà à rapporter et là, ce groupe américain qui fait moins bien que nous veut nous acheter et nous gérer alors qu'on est en meilleure santé financière que lui. Ça n'a pas de bon sens», m'avait confié le marchand.

Avec d'autres membres de sa famille, Stéphane Gagnon est propriétaire de six magasins Rona: les «mégacentres» de Saint-Bruno, du Dix30, de Granby et de Saint-Hyacinthe de même qu'un magasin satellite à Granby et d'un tout nouveau magasin de proximité à Beloeil.

Il croit à la stratégie de Rona, il en constate les bienfaits avec ses deux nouveaux magasins de plus petite taille, mais il est surtout incapable d'imaginer de passer un jour sous le contrôle d'un groupe américain.

Stéphane Gagnon attend maintenant, avec une certaine appréhension, la prise 2 de Lowe's qui pourrait se traduire par une offre à 17$ ou 18$ l'action, selon les analystes financiers qui suivent le secteur. On verra.