Revenu Québec aura récupéré d'ici le 31 mars prochain quelque 3 milliards en impôts divers impayés pour l'année fiscale 2011-2012. Si la somme semble colossale, le Bureau de lutte à l'évasion fiscale a encore beaucoup de chemin à faire pour récupérer les 3,5 milliards qui lui échappent chaque année. De l'argent éludé par des entreprises, des organisations, des individus qui n'ont aucun scrupule à tricher pour s'enrichir.

C'est la première fois que Revenu Québec fait le bilan annuel de ses activités. L'Agence a été restructurée l'an dernier et a mis en oeuvre une nouvelle planification stratégique au coeur de laquelle l'évasion fiscale occupe une place centrale.

Les motifs pour justifier pareille priorité étaient nombreux: les scandales financiers dans le secteur de la construction, les fraudes à répétition dans celui de la restauration, la contrebande de cigarettes, le recours persistant au travail au noir...

Le gouvernement Charest, qui a décidé il y a quelques années de resserrer son filet fiscal pour tenter de récupérer les milliards qui passaient sous le radar de ses fonctionnaires de l'impôt, commence à récolter les fruits de ses efforts.

Revenu Québec a ainsi récupéré 2,2 milliards en 2009-2010, puis 2,4 en 2010-2011 et 3 milliards pour 2011-2012. L'an prochain, l'objectif de 3,6 milliards est tout à fait atteignable, selon son PDG Jean St-Gelais.

«On sait qu'il y a 3,5 milliards de plus que notre objectif qui va nous échapper l'an prochain. Il y a beaucoup d'argent qui nous échappe mais chaque année, on raffine nos procédés, on anticipe les nouvelles stratégies frauduleuses qui se développent, on échange beaucoup avec d'autres ministères. On est mieux équipé pour intervenir», constate le responsable de Revenu Québec.

Ainsi, la nouvelle escouade dans le secteur de la construction aura permis de récupérer 300 millions cette année. De la pure triche, selon M. St-Gelais, tout comme les 300 millions additionnels que Revenu Québec va toucher cette année de taxes de vente des restaurateurs qui ne la payaient pas tous uniformément...

Sur les 3 milliards d'impôts récupérés cette année, 900 millions proviennent de contribuables qui ont été mieux vérifiés.

«Nos équipes sont mieux armées. Ainsi, on fait des croisements avec la SAAQ et si on voit qu'un individu possède trois BMW et affiche un revenu annuel de 30 000$, on enquête», donne en exemple Jean St-Gelais.

Les paradis fiscaux épargnés?

C'est l'avocat-fiscaliste Yves Séguin, qui a servi comme ministre des Finances de 2003 à 2005 sous le premier gouvernement Charest, à qui l'on doit la systématisation de la lutte à l'évasion fiscale, telle qu'on la pratique aujourd'hui.

Avant même son élection en avril 2003, Yves Séguin avait fait de l'évasion fiscale un de ses chevaux de bataille de la campagne électorale.

Je me souviens très bien d'avoir rencontré le candidat-vedette de Jean Charest dans l'autobus de campagne du chef pour réaliser une longue entrevue entre Montréal et Drummondville. Dans cette entrevue, il avait beaucoup insisté sur le potentiel financier immense que représentait l'orchestration d'une lutte articulée et continue contre l'évasion, la fraude et l'évitement fiscaux.

Yves Séguin était incapable d'accepter l'idée que le Québec se prive chaque année d'au moins 1 milliard en recettes fiscales en raison de l'utilisation abusive des paradis fiscaux parce que le ministère du Revenu n'avait pas les ressources d'enquêtes compétentes pour mener l'opération.

C'est pourquoi dès son deuxième budget, en 2004, il a annoncé la création d'une brigade modeste d'une trentaine de fiscalistes et d'enquêteurs qui aurait pour mandat de récupérer 250 millions d'impôts impayés par année. Depuis sa création, la brigade a pris du coffre et les coffres de l'État s'en portent mieux.

Mais le resserrement des avantages que permettent les transferts de fonds vers des paradis fiscaux semble donner des résultats bien modestes. Revenu Québec prévoit récupérer 80 millions l'an prochain - sur 3,6 milliards - de ce qu'elle appelle «la planification fiscale abusive».

«Le problème, c'est qu'il y a une distinction entre l'évitement fiscal et l'évasion fiscale. Dès que l'on resserre une loi, il y a des armées de spécialistes, dont l'unique métier est de trouver des façons de contourner le système, qui trouvent des échappatoires pour leurs clients», observe Jean St-Gelais.

Il n'en reste pas moins que la récupération fiscale a permis d'aller chercher exactement les même 3 milliards additionnels que Québec perçoit depuis la hausse de deux points de la TVQ. Comme quoi, si tout le monde payait correctement ses impôts, on pourrait rêver à ce qu'ils baissent un jour.

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REVENU QUÉBEC 2010 - 2011

Recettes - 82,7 milliards

Remboursements - 19,1 milliards

Contributeurs - 6,1 millions de particuliers

487 635 sociétés

556 951 particuliers en affaires

employés - 10 966 permanents et occasionnels

Budget - 1 milliard

Pertes fiscales liées à l'économie au noir - 3,5 milliards

Source: Revenu Québec