Avec le départ à la retraite de Rémi Marcoux, c'est une page d'histoire de Québec inc. qui a été tournée hier. Le fondateur de Transcontinental a fait partie de la première cohorte d'entrepreneurs québécois à utiliser pleinement les outils du capitalisme pour accélérer la croissance de son entreprise et lui permettre de rayonner pleinement à l'échelle nationale.

Rémi Marcoux a fondé Transcontinental en 1976, en achetant avec deux associés une société d'impression en difficulté à Saint-Laurent. On y imprime des circulaires et on crée deux ans plus tard un réseau de distribution porte-à-porte qui ravira lentement mais sûrement ce lucratif marché publicitaire qui était jusque-là l'apanage exclusif des journaux.

Après avoir acheté en 1979 le journal Les Affaires - lui aussi en difficulté - Transcontinental ouvre en 1981 une première imprimerie à Toronto malgré le financement bancaire à 21% d'intérêt.

Mais le véritable envol de Transcontinental a lieu en octobre 1984, lorsque le groupe réalise son inscription à la Bourse de Montréal pour aller chercher le financement qui lui permettra d'accélérer à la vitesse grand V son développement pancanadien.

On était tout au début du Régime d'épargne-actions (REA), un incitatif fiscal qui permettait aux investisseurs de déduire la totalité du coût d'acquisition de nouvelles actions de sociétés québécoises.

En 1983, une demi-douzaine d'entreprises québécoises ont profité du REA pour réaliser un premier financement public. En 1984, avec Transcontinental dans le groupe, elles sont une vingtaine à faire leur entrée en Bourse. L'année suivante, elles sont 58 et, enfin, en 1986, c'est l'explosion lorsque 135 entreprises québécoises réalisent un financement public et vont lever 1,7 milliard de dollars de capitaux auprès de 170 000 épargnants-investisseurs.

En 1987, cette belle révolution financière est brutalement mise à l'épreuve lorsque survient un violent krach boursier en octobre. Le nombre de financements publics va chuter de moitié par rapport à 1986 et beaucoup de nouvelles PME boursières vont subir les écueils de cette tempête financière.

Dans les 10 années qui vont suivre, sur les plus de 250 nouvelles sociétés publiques québécoises qui ont vu le jour grâce au REA, 15 vont faire faillite et 90 autres vont faire l'objet d'une fusion ou d'une acquisition, mais un bassin de plus de 150 sociétés va continuer de croître et de prospérer.

Hier, dans son dernier message à ses actionnaires, Rémi Marcoux a dit souhaiter que les jeunes entreprises d'aujourd'hui, celles qui forment le Québec inc. de demain, puissent disposer d'un accès aux capitaux boursiers semblable à celui dont Transcontinental, Jean Coutu, Couche-Tard, Transat ou CGI ont pu profiter tout au long des années 80.

J'ai eu le plaisir de rencontrer Rémi Marcoux, mercredi midi, la veille de sa dernière assemblée annuelle. C'était la première fois que je réalisais une entrevue avec lui. Malgré mes 15 années comme chroniqueur financier au Journal de Montréal, je n'avais jamais eu la chance de lui parler parce que mes patrons refusaient qu'on donne la parole à un concurrent.

Rémi Marcoux a fui toute sa vie les projecteurs. Il a toujours préféré être un travailleur de l'ombre et mener son entreprise avec humilité. Il est pourtant un être chaleureux, attentionné et intéressé aux autres.

Hier midi, la salle de bal de l'hôtel Windsor était pleine à craquer d'actionnaires de Transcontinental qui tenaient à rendre hommage à celui qui a fondé leur entreprise il y a 35 et qui a décidé de prendre une retraite pleinement méritée.

Mais plutôt que de s'en aller directement en Floride, Rémi Marcoux va faire le tour de toutes ses usines et de ses unités d'affaires pour rencontrer et remercier ses 10 000 employés. Le nouveau Québec inc. n'a pas seulement besoin d'accès aux capitaux. Il a aussi besoin d'entrepreneurs aussi respectueux que Rémi Marcoux.