Ceux qui connaissent un tant soit peu Clara Hughes et Joé Juneau n'auront pas été surpris d'apprendre que ces deux athlètes au grand coeur ont développé une belle amitié.

Le récit qu'a fait Hughes de son récent voyage au Nunavik, dans nos pages, hier, m'a ramené trois ans et demi en arrière, quand j'ai moi-même accompagné Juneau à Salluit, à l'extrême-nord du territoire québécois, pour écrire sur le programme de hockey de l'ancien attaquant du Canadien.

Ce programme, on le sait, se sert du hockey pour inciter les jeunes à s'appliquer à l'école. Il en était alors à ses balbutiements. Juneau faisait la navette entre sa maison de Saint-Raymond-de-Portneuf et les 14 villages du Nunavik. Son objectif était de former des entraîneurs dans chaque communauté afin qu'ils puissent prendre le relais.

Ses idéaux se sont toutefois heurtés à la dure épreuve de la réalité. «On demandait à des jeunes de 18 à 30 ans d'être entraîneurs, mais ils n'avaient aucune notion de pédagogie et ce n'était pas dans leur culture de s'impliquer avec les plus jeunes, dit Juneau. Sans parler du besoin toujours présent d'aller à la pêche et à la chasse. Si les deux coachs sont deux bons chasseurs, on ne va pas loin avec le programme de hockey!»

L'approche a donc changé. «Aujourd'hui, les villages où ça fonctionne sont ceux où il y a une collaboration entre les locaux et les professeurs qui s'impliquent le soir à l'aréna», dit Juneau, bien conscient que le programme est encore un work-in-progress.

Pour faire partie du programme de hockey, y compris du volet «sélect», qui permet de participer à un tournoi dans le sud du Québec, les jeunes doivent assister à leurs cours, fournir un effort suffisant en classe et avoir un bon comportement. Mais il y a des zones grises.

«Sur papier, un jeune qui est absent de l'école deux jours par semaine, qui dort en classe les trois autres et qui pète les plombs quand le prof lui parle, va être suspendu de notre programme, dit Juneau. Mais dans bien des cas, personne ne l'a réveillé pour l'école. Et s'il est fatigué, c'est peut-être que des adultes ont bu toute la nuit à la maison. C'est ça, la réalité. Si le jeune n'est pas coupable, on ne peut pas lui enlever le hockey. Chaque jour, des entraîneurs, des directeurs d'école, des enseignants, mes collègues et moi sommes appelés à composer avec ce genre de situation. C'est ce qui rend finalement ce programme si spécial, selon moi: l'implication sociale des différents intervenants dans une structure qui utilise le hockey comme outil.»

Retombées positives

Pendant deux ans, Juneau et sa famille ont vécu à temps plein à Kuujjuaq. Mais ses deux filles prenaient du retard à l'école. La famille est rentrée au sud cette année et Joé a recommencé ses allers et retours. Y compris celui l'ayant mené récemment avec Hughes à Kangiqsualujjuaq, le village de l'est de l'Ungava où il a eu l'idée de créer le programme, il y a quatre ans.

À l'époque, Juneau avait passé quelques jours au village, après une expédition dans l'arrière-pays. «J'étais allé à l'école, j'avais vu les jeunes qui jouaient au hockey dans la rue, l'aréna où tout était brisé et où il n'y avait pas de glace. On m'a expliqué que lorsqu'il y en avait, c'était surtout pour les adultes. Ça avait été le déclencheur qui m'avait poussé à présenter un projet aux leaders de la Corporation Makivik et de l'Administration régionale Kativik.»

Le voyage de Clara Hughes, qui a rencontré Juneau aux Jeux de Vancouver, où il était adjoint à la chef de mission Nathalie Lambert, n'est que la plus récente retombée des efforts de l'ex-hockeyeur. Son programme de hockey a en effet valu une attention inespérée au Nunavik, aux prises avec les importants problèmes que l'on sait: décrochage, alcoolisme, abus physiques et sexuels, suicides, etc.

En plus de nombreux articles dans les journaux et magazines, deux documentaires ont été tournés, dont le plus récent, Les vrais gagnants, a été diffusé en décembre. «Je n'ai fait qu'informer la population de la situation et heureusement, des gens haut placés ont compris rapidement qu'il fallait faire quelque chose», se contente de dire Juneau.

Le programme a sûrement aidé à convaincre Québec de fournir la moitié d'un budget de 33 millions pour rénover les arénas du Nunavik, souvent très mal en point. Hockey Québec a finalement reconnu le Nunavik comme une région associée, au lieu de le considérer comme une dépendance de l'Abitibi-Témiscamingue. Une série de dons d'équipements ont été effectués, entre autres, par l'Association des joueurs de la LNH, la Fondation Canadian Tire et la Fondation du Canadien pour l'enfance.

La Fondation Right to Play, dont Hughes est une ambassadrice, s'intéresse aussi au programme. «C'était spécial de me retrouver avec Clara à Kangiqsualujjuaq, quatre ans plus tard, au centre d'un aréna fraîchement rénové et rempli de parents, d'enseignants et de 75 jeunes de 10 villages qui avaient eu l'approbation de leur directeur d'école, dit Juneau. Un de mes collègues m'a dit, l'école, c'est le coeur du village. Je lui ai répondu, «l'aréna, c'est le poumon. Et là, l'aréna respire».»

Juneau a été à même de constater l'impact très fort que Hughes a eu sur les jeunes rencontrés pendant ses quelques jours dans le village. «Même si la venue de Clara était la seule retombée de ma participation aux Jeux olympiques, ça en aurait valu la peine. Je pourrais dire mission accomplie.»