Permettez que j'enfonce une porte ouverte.

Le Comité olympique canadien révélera vendredi l'identité de l'athlète qui portera le drapeau du pays à la cérémonie d'ouverture des Jeux de Vancouver. L'annonce se fera à Richmond, en Colombie-Britannique, où auront lieu les épreuves de patinage de vitesse longue piste.

Le choix de l'endroit n'est probablement pas un hasard : si le COC a bien fait son travail, c'est une patineuse de vitesse qui succédera à la hockeyeuse Danielle Goyette, porte-drapeau lors des Jeux d'hiver de Turin, en 2006. Car enfin, peut-on sérieusement songer à nommer quelqu'un d'autre que Clara Hughes?

Je sais, les candidats de qualité ne manquent pas, à l'aube de Jeux où le Canada pourrait bien atteindre son ambitieux objectif de terminer au premier rang du classement des médailles.

La hockeyeuse Hayley Wickenheiser, le skieur de fond légalement aveugle Brian McKeever, le bobbeur Pierre Lueders, les patineurs de vitesse Tania Vicent ou Charles Hamelin, la bosseuse Jennifer Heil ou encore l'héroïne des Jeux de Turin, Cindy Klassen - aucun d'entre eux ne ferait honte au Canada, on s'entend là-dessus. Mais Hughes est dans une classe à part.

À 37 ans, la patineuse s'apprête à conclure l'une des plus extraordinaires carrières de l'histoire olympique canadienne. Ex-cycliste, Hughes a déjà cinq médailles à son actif et est l'une des quatre athlètes, tous pays confondus, à être montée sur le podium tant aux Jeux d'hiver qu'aux Jeux d'été.

Le COC a tendance à sélectionner des athlètes qui ont des espoirs légitimes de médaille. Justement, Hughes ne va pas à Vancouver pour jouer les figurantes. Elle a des chances raisonnables de défendre son titre olympique dans sa distance de prédilection, le 5000 m, et figure à tout le moins parmi les prétendantes sérieuses au podium. Elle participera aussi au 3000 m.

Née à Winnipeg, elle est bilingue - on éviterait la répétition de la controverse entourant le choix d'Adam van Koeverden aux Jeux de Pékin - et partage son temps entre Calgary, où elle s'entraîne, et Glen Sutton, dans les Cantons-de-l'Est, où elle passe ses étés depuis une dizaine d'années. Côté représentativité régionale, elle fait le plein.

Comme l'ont compris depuis longtemps ceux qui suivent le blogue qu'elle écrit pour Cyberpresse (blogues.cyberpresse.ca/olympiques), Hughes incarne aussi parfaitement l'idéal olympique et une certaine idée que le Canada se fait de lui-même, celle d'un pays généreux et ouvert sur le monde. Tout de suite après sa médaille d'or à Turin, en 2006, elle a annoncé qu'elle faisait un don de 10 000$ à la fondation Right to Play, qui vient en aide aux enfants du tiers monde. Depuis, elle s'est rendue au Ghana, en Éthiopie et en Palestine pour le compte de l'organisme.

Même si elle court le 3000 m deux jours après la cérémonie d'ouverture, Hughes est prête à porter le drapeau si elle est choisie. «C'est vraiment proche du 3000 m, mais je pense que l'énergie et l'inspiration que le porte-drapeau recevra en pénétrant dans le stade à la tête de la plus forte délégation canadienne de l'histoire seront extraordinaires», m'a-t-elle écrit il y a quelques semaines.

Paradoxalement, pour une athlète aussi titrée, Hughes apporterait un antidote - fort bienvenu - au culte de la médaille qui s'est développé au Canada depuis l'instauration du programme d'excellence À nous le podium, il y a quelques années.

Ce programme a joué un rôle crucial de catalyseur pour l'influx massif d'argent dans le sport amateur au Canada. Malheureusement, il a aussi contribué à renforcer l'impression que hors du podium, point de salut.

«À un certain point dans l'histoire, quelqu'un a décidé qu'un podium aurait trois marches», a souligné Hughes quand je l'ai interviewée à Calgary, à la fin novembre. «On donne présentement l'impression que si tu n'es pas sur le podium, tu n'es rien. Mais une grande partie de ce qui a fait de moi la personne que je suis, je l'ai appris dans des courses que je n'ai pas gagnées. L'échec a aussi une valeur.»

Hughes aime rappeler que c'est Gaétan Boucher qui l'a amenée à rêver aux Jeux olympiques. Pas le Gaétan Boucher des trois médailles de Sarajevo, en 1984. L'athlète en fin de carrière qui s'était battu contre une blessure à une cheville, quatre ans plus tard, à Calgary, et qui avait raté le podium dans ses trois courses.

«Quand il se présentait sur la ligne de départ, même à la fin, il était plus grand que nature. Sa passion pour le sport et son intensité, son refus de céder au doute ou à la douleur, voilà ce qui m'a inspirée, a écrit Hughes dans un courriel récent. Il montrait par ses actions et son approche la vraie signification de l'excellence. Pour moi, c'est ce qui fait de lui l'olympien absolu. (...) Il a toujours maintenu sa volonté de repousser ce qui aurait dû être ses limites. Il essayait d'être le meilleur qu'il pouvait être et c'est ce que j'aimais le plus de Gaétan.»

Franchement, la description s'applique parfaitement à Clara Hughes. Et c'est pour cela qu'elle mérite de porter le drapeau canadien à Vancouver.

SON PALMARÈS OLYMPIQUE

Atlanta, 1996 Turin, 2006 Bronze, course sur route, cyclisme Or, 5000 m, patinage de vitesse Bronze, contre-la-montre, cyclisme Argent, poursuite par équipe, patinage de vitesse

Salt Lake City, 2002 A aussi participé aux JO de Sydney, Bronze, 5000 m, patinage de vitesse en 2000.