Quand le botteur Paul McCallum a raté un placement de 18 verges en prolongation de la finale de l'Ouest, en 2004, les Roughriders de la Saskatchewan ont été éliminés par les Lions de la Colombie-Britannique... et des partisans enragés se sont vengés en lançant des oeufs sur sa maison de Regina et en déversant du fumier dans l'entrée d'un voisin.

L'anecdote est un exemple extrême d'une réalité qu'on mesure mal au Québec, trois provinces plus à l'est: les partisans des Roughriders prennent le football très au sérieux. «Tu sais à quel point le Canadien est important à Montréal? C'est la même chose avec les Roughriders en Saskatchewan», disait hier le demi inséré Jason Clermont, un natif de Regina qui s'est joint à l'équipe cette année, après avoir passé les sept premières saisons de sa carrière avec les Lions.

On s'attend à ce qu'une marée verte déferle dans les rues de Calgary d'ici la finale de la Coupe Grey, dimanche, au stade McMahon. Les partisans des Riders s'arrachent les billets qu'écoulent sur l'internet les fans déçus des Stampeders, défaits 27-17 en finale de l'Ouest, il y a quatre jours, et ils seront nombreux à faire le voyage de huit heures depuis Regina. Très nombreux.

«Notre équipe se nourrit de l'appui de nos partisans. Ce qui s'est passé la semaine dernière en est le meilleur exemple, a dit l'entraîneur-chef des Riders, Ken Miller. Nous allons avoir 40 000 fans des Roughriders ici dimanche. C'est une bonne chose pour nous.»

Ceux qui ne veulent pas conduire - et qui ont 469$ à flamber avant même d'avoir un billet pour le match - peuvent prendre l'avion. Une compagnie de Calgary, Classic Canadian Tours, a nolisé un Boeing 737 de 150 places pour faire l'aller-retour entre Regina et Calgary, dimanche.

La province au complet

Les partisans des Riders ont l'habitude de parcourir de grandes distances pour voir jouer leur équipe favorite, souligne le spécialiste des longues remises québécois Jocelyn Frenette, qui joue à Regina depuis 2002 et qui habite la ville 12 mois par année. «Pendant la saison morte, il m'arrive de faire des présentations dans le nord de la Saskatchewan. Et il y a des gens là-bas qui ont des billets de saison des Riders! Tous les week-ends de match, ils font six ou sept heures de route et dorment à l'hôtel. L'appui ne vient pas juste de la ville, mais de la province au complet.»

En fait, la Rider Nation a progressivement étendu ses tentacules partout au Canada, au fil de l'émigration, nombreuse, des Saskatchewanais vers les autres provinces. «C'est vraiment incroyable. Les gens quittent la Saskatchewan, mais ils gardent quand même leur attachement aux Roughriders. Partout où on joue, que ce soit à Edmonton, à Calgary ou en Colombie-Britannique, on a des supporteurs», ajoute Frenette.

Les Riders ont l'avantage de détenir le monopole de l'offre de sport professionnel en Saskatchewan. «En Saskatchewan, tu es l'Équipe. Il n'y a pas d'équipe de hockey ou d'un autre sport pour faire de l'ombre à ton équipe de football», souligne le receveur Chris Getzlaf, frère de Ryan, des Ducks d'Anaheim, et originaire de Regina lui aussi.

Comme les Packers

Les Riders ressemblent beaucoup aux Packers de Green Bay, de la NFL. Les deux clubs règnent en rois et maîtres sur des villes relativement petites. Les deux appartiennent à la communauté. Et les partisans des deux équipes aiment se coiffer d'un absurde couvre-chef: un morceau de fromage pour les habitués du Lambeau Field, un melon d'eau évidé pour ceux du Mosaic Stadium.

Fondés en 1910 sous le nom de Regina Rugby Club, les Roughriders célébreront leur centenaire l'an prochain. Ils ont connu leur apogée à l'époque du quart-arrière Ron Lancaster, qui les a conduits à 11 participations consécutives à la finale de l'Ouest, de 1966 à 1976.

Mais ils ont remporté la Coupe Grey seulement trois fois (en 1966, 1989 et 2007). La finale de l'Ouest, dimanche, était la première en 33 ans à Regina.

Le caractère épisodique des succès des Riders n'a jamais émoussé la popularité du club, qui joue à fond la carte canadienne, ces années-ci, en employant plus de partants «non importés» que le minimum imposé. Le club demeure le meilleur vendeur de produits dérivés de la LCF.

Keith Letourneau, qui vend depuis des années des articles à l'effigie des Riders à son magasin du centre-ville de Calgary, a loué un local pour cinq jours sur Stephen Avenue, où se déroulera à compter de demain le festival de la Coupe Grey. Sa boutique temporaire s'appelle «The Green Room», pour des raisons évidentes, sauf peut-être pour un daltonien. «À mon magasin, les chandails des Roughriders se sont toujours mieux vendus que l'ensemble des chandails des autres équipes professionnelles», dit-il.

Pour cette semaine, Letourneau n'a pas hésité: il a commandé 1200 chandails divers des Riders et... seulement six de chacune des sept autres équipes de la LCF, incluant les Alouettes!

La ville de Calgary a beau être la capitale canadienne de l'or noir, elle est de toute évidence prête, le temps d'un week-end, à prendre le virage vert.