Il ne faut jurer de rien dans le dossier de la vente du Canadien, qui comporte plus de zones grises qu'un vieux film hongrois en noir et blanc sous-titré en serbo-croate. N'empêche: je doute que le scénario avancé hier par Jacques Demers finisse par se concrétiser.

Sur les ondes de CKAC, hier, l'ancien entraîneur du Canadien s'est dit d'avis que George Gillett entend garder le contrôle du Tricolore avec un «président agressif» qui ira chercher d'autres investisseurs. «Il aura peut-être vendu 20, 25 ou 30%, mais il sera propriétaire majoritaire et continuera à exploiter la franchise avec (le PDG Pierre) Boivin et les hommes de hockey», a-t-il soutenu.

Demers en veut notamment pour preuve le retrait de Serge Savard, annoncé dans La Presse d'hier. «Serge est un fonceur. S'il se retire, c'est qu'il a vu que les options s'étaient refermées et qu'il n'y avait rien à faire», m'a-t-il dit quand je l'ai joint, hier matin. Il croit aussi que la famille Molson, qui s'est dite intéressée à acquérir le club, la semaine dernière, «est du genre à se tenir en arrière». «Elle pourrait prendre 20%, la brasserie Molson-Coors garderait ses 19,9% et Gillett aurait le reste», a-t-il dit.

Je le répète: tout est possible dans cette pièce de théâtre, dont les acteurs préfèrent s'activer en coulisses plutôt que de jouer pour la galerie. Sauf que l'hypothèse avancée par Jacques Demers contredit la volonté exprimée publiquement par Geoffrey, Andrew et Justin Molson. Le désir des trois frères est bel et bien d'acquérir une participation majoritaire dans le Canadien, a réitéré hier leur porte-parole, Luc Beauregard. «Les Molson sont là pour être des actionnaires de contrôle», a-t-il dit.

Les Molson bluffent-ils pour faire monter les enchères? Franchement, j'en doute. Comme le dit Demers lui-même, «les membres de la famille Molson n'iraient jamais sur la place publique sans être à 100% sûrs et sérieux». Ils sont des citoyens éminents et respectés, membres d'une famille dont l'histoire est indissociablement liée à celle de Montréal. Je peine à les imaginer se livrant à pareille mascarade.

Si les trois frères ont annoncé au monde leur intérêt à ramener dans le giron familial le club qui a appartenu autrefois à leur grand-père Thomas, ce n'est pas pour être des partenaires silencieux ou pour servir de béquille financière à George Gillett. C'est parce qu'ils veulent avoir «les deux mains sur le volant»... et qu'ils ont acquis la conviction que Gillett s'est bel et bien résigné à vendre le club qu'il a acheté il y a huit ans.

D'autres fleurs pour Martin

L'arrivée de Jacques Martin à la barre du Canadien n'a pas été unanimement applaudie, loin de là. Plusieurs chroniqueurs, surtout à l'extérieur de Montréal, ont sévèrement critiqué le choix de Bob Gainey. Le nouveau coach ne manque pourtant pas de défenseurs.

Parmi ceux-ci, Joé Juneau, qui a joué sous les ordres de Martin à Ottawa, en 1999-2000. «C'est le style de gars parfait pour le poste d'entraîneur du Canadien, dit Juneau. J'ai adoré la saison que j'ai passée avec les Sénateurs. Je me reconnais dans la façon d'agir de Jacques. Il est organisé et ses entraînements sont toujours bien conçus. Avec des penseurs comme Jacques ou Dave King, les exercices t'amènent vraiment à corriger des détails et à te préparer à battre les équipes que tu dois affronter. Si je revenais dans le sport professionnel - ce que je n'ai pas l'intention de faire! -, ce serait pour travailler avec un gars comme Jacques.»

Selon Juneau, Martin ne craint pas de remettre à leur place les joueurs qui se traînent les pieds. Y compris les vedettes. «Même si Daniel Alfredsson était le capitaine et le leader de l'équipe, Jacques l'avait redressé lors d'un entraînement en lui disant que sa façon de s'entraîner n'était pas acceptable. Les autres joueurs avaient compris le signal.»

L'embauche de Martin survient à point nommé, souligne Juneau. «La situation est assez critique. Le Canadien risque de se retrouver avec la même sorte d'équipe qu'au début des années 2000. Ce n'est pas une belle situation. L'équipe compte 11 joueurs autonomes et il faut qu'elle se donne une chance de garder certains d'entre eux et d'en attirer de nouveaux. Pour y arriver, le plus important était de se doter d'un super bon coach avant le 1er juillet.»

Juneau est de ceux qui trouvent que la frénésie médiatique qui entoure le Canadien dépasse parfois les bornes. Mais ce vétéran de six organisations (Boston, Washington, Buffalo, Ottawa, Phoenix et Montréal) a un message pour les joueurs qui hésitent à venir jouer à Montréal. «En 13 ans dans la LNH, je n'ai pas joué pour une organisation qui était à la hauteur du Canadien. C'est la classe extrême.»

Reste à souhaiter que cette classe survive au départ de George Gillett.