En congédiant Guy Carbonneau et en prenant sa place derrière le banc du Canadien, Bob Gainey joue à quitte ou double. S'il fallait que son coup de poker ne fonctionne pas, s'il fallait que le CH rate malgré tout les séries, le directeur général devra tirer les conclusions qui s'imposent. Et démissionner.

Car de deux choses l'une. Ou les difficultés du Canadien étaient attribuables à l'incapacité de Guy Carbonneau de tirer le meilleur parti de sa formation, que Gainey jugeait suffisamment solide pour rester les bras croisés à la date limite des transactions, la semaine dernière.

Ou alors l'équipe bâtie par Gainey au cours des dernières années n'est pas à la hauteur de l'évaluation favorable qu'il en fait - et alors c'est sa responsabilité d'administrateur qui devrait être en jeu, pas celle de l'entraîneur sacrifié hier.

Gainey est assez intelligent pour comprendre ce qui lui pend au bout du nez. «Guy était responsable de la production de l'équipe et il était responsable des résultats... comme je le suis dans mon rôle de directeur général», a-t-il dit.

Évidemment, il est fort possible que le Canadien se qualifie pour les séries. Gainey a choisi le meilleur moment possible pour faire passer son coach à la trappe, après tout. Cinquième dans l'Est hier, le Canadien jouera neuf de ses 10 prochains matchs et 11 de ses 16 parties restantes à domicile. Il affrontera plusieurs équipes moins bien classées que lui, y compris les ineptes Islanders (deux fois), le Lightning et les Thrashers.

Combinez ce calendrier favorable à l'électrochoc que produit habituellement le congédiement d'un entraîneur, et vous avez une recette qui risque d'éviter au DG de devoir se faire hara-kiri.

Mais on a déjà vu des scénarios plus improbables se réaliser.

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La nouvelle du congédiement de Carbonneau est tombée comme une tonne de briques, peu avant 17h, hier. Mais quand on y réfléchit bien, elle n'est pas si surprenante. Pas quand on songe à ce que Gainey a dit à l'expiration de la période des transactions, la semaine dernière.

«Plusieurs de nos joueurs n'ont pas joué à la hauteur de leur potentiel cette année, pour différentes raisons. C'est le moment pour eux de prouver que j'ai eu raison de leur faire confiance, et pour nos entraîneurs de prendre les joueurs dont ils disposent et de tirer autant ou plus de cette équipe qu'ils ne l'ont fait jusqu'ici.»

Comment l'équipe a-t-elle répondu à ce message on ne peut plus clair? Par une défaite gênante face aux Sabres, un revers par blanchissage contre les modestes Thrashers et un manque de discipline inexcusable dans la victoire un peu chanceuse contre les Stars, dimanche. Trop tard pour changer de joueurs. Restait une solution: mettre l'entraîneur dehors.

Les déboires des derniers matchs n'étaient en fait que la suite logique d'une tendance déjà bien amorcée. Gainey n'a pas tort lorsqu'il dit qu'au cours du dernier mois, ceux qui suivent l'équipe se sont tous demandé à un moment ou un autre si Carbonneau finirait par être congédié. Rappelez-vous le «Je suis à court de réponses» désespéré de Carbo, un certain soir à Vancouver. Il y avait de quoi inquiéter le plus stoïque des patrons.

Le Canadien présente une fiche de 10-14-1 à ses 25 derniers matchs. Il a fait illusion avec une série de quatre victoires dans la dernière semaine de février. Mais ces victoires reflétaient beaucoup plus l'excellence du gardien Jaroslav Halak qu'un quelconque retour à du jeu organisé et méthodique.

Dans la chronique que j'avais pondue hier avant que Gainey ne vienne ruiner l'année de Guy Carbonneau (et la soirée de tous les journalistes sportifs de Montréal), j'écrivais ceci, à propos des chances du Canadien d'aller loin en séries. «Si j'étais vous, je miserais mon argent sur un autre cheval. Trop d'inconstance, trop d'à-peu-près, pas assez d'engagement. En séries, ça ne pardonne pas.» Le manque de constance, «l'engagement émotionnel» insuffisant - c'est en plein ce que Gainey a reproché hier à son équipe.

On a pensé, à tort, que la loyauté transcendait tout le reste pour Gainey. Qu'il soutiendrait son vieux pote Carbonneau à la vie, à la mort. On avait oublié que la seule chose qui anime l'ancien capitaine du Canadien, comme il se doit sans doute pour un homme qui a remporté la Coupe Stanley à cinq reprises à Montréal, c'est le désir de vaincre.

Cette soif de victoire, elle semblait absente depuis déjà un bon moment chez le Tricolore. Ça explique que Gainey se soit résigné à congédier un homme dont il avait dit, il y a deux mois à peine, que son embauche était sa meilleure décision depuis son entrée en poste en 2003.

Parce qu'il veut gagner tout de suite (a-t-il seulement le choix, avec les folles attentes créées par les célébrations du centenaire?) Gainey a joué la seule carte qui restait dans son jeu. Le prochain mois nous dira si c'était un joker ou un deux de pique - et si Gainey remportera son pari ou sera forcé de quitter la table, les mains vides.