Se souviendra-t-on du 1er février 2009 comme du jour où la saison du centenaire du Canadien a pris le bord? L'uniforme de prisonniers que portaient les joueurs du Tricolore contre les Bruins était-il un signe annonciateur des oubliettes auxquelles ils risquent d'être bientôt relégués?

Les deux prochains mois nous le diront. Mais en attendant, ça va mal au royaume de l'Oncle George. Très mal.

En elle-même, la défaite de 3-1 contre les Bruins, dimanche, n'avait rien de déshonorant. Contre la meilleure formation de l'Association de l'Est, le Canadien s'est bien battu et, n'eût été de quelques erreurs coûteuses (Mike Komisarek, faites votre mea-culpa), il aurait pu l'emporter.

Le problème n'est pas le résultat. Ce n'est même pas le fait qu'il s'agissait du cinquième revers du Canadien en six parties. Après tout, les Red Wings de Detroit viennent d'en perdre cinq de suite et personne n'oserait prétendre que la chute de l'empire de Mike Ilitch est imminente.

Le problème n'est pas non plus la perte pourtant très coûteuse du meilleur buteur de l'équipe, Robert Lang, parti rejoindre sur la liste des blessés Alex Tanguay et Georges Laraque, les deux autres acquisitions faites par Bob Gainey l'été dernier pour renforcer le club.

Le problème, c'est ce que la conférence de presse d'après-match de Guy Carbonneau nous a confirmé: la chicane est reprise avec Alex Kovalev.

On s'en doutait bien, remarquez. Suffisait de voir Kovalev grincer des dents et secouer la tête sur le banc des joueurs, pendant la longue pénitence que Carbo lui a infligée en troisième période, pour comprendre que ces deux-là ne s'aiment pas plus d'amour fou qu'il y a deux ans, à l'époque où le 27 déversait son fiel dans les journaux russes.

Carbonneau a raison d'être en pétard contre Kovalev. Trois points lors de ses neuf derniers matchs, fiche de -6 au cours de cette période, le joueur par excellence du récent match des Étoiles n'a rien fait qui vaille lors des deux matchs du week-end et est en petite vitesse depuis déjà un bon moment.

Gagner un camion au match des Étoiles, c'est bien beau, mais l'important n'est pas de briller dans un junket pour commanditaires. C'est de marquer des buts pour l'équipe qui te paie une fortune pour que tu la mettes dedans. Ce que Kovalev ne fait que trop rarement cette année.

Fallait-il pour autant que Carbonneau jette de l'huile sur le feu des rumeurs quand un journaliste lui a fait remarquer après le match que Kovalev joue mieux quand c'est lui, et non Saku Koivu, qui porte le C? «J'espère que c'est faux, cette histoire-là, car ça n'arrivera pas. Je n'enlèverai pas le C du chandail de Saku. Si quelqu'un a besoin d'une lettre sur son chandail pour produire, cette personne n'est pas professionnelle et j'ai un sérieux problème avec ça.»

Si Carbonneau espère que c'est faux, c'est qu'il pense que c'est peut-être vrai, n'est-ce pas? Je ne sais pas pour vous, mais moi, ce que je comprends, c'est que l'entraîneur trouve bel et bien que Kovalev se pogne le beigne depuis que Koivu a repris le titre de capitaine. Et qu'il a un sérieux problème avec le manque de professionnalisme du 27.

Mais est-ce une stratégie avisée que de se lancer ainsi dans une guerre plus ou moins ouverte avec son attaquant-vedette? Kovalev a de l'ascendant sur plusieurs joueurs de l'équipe. S'il commence à babouner pour de bon, je ne donne pas cher des chances du Canadien d'aller loin ce printemps. Et les risques qu'il baboune après avoir été cloué au banc au profit de Tom Kostopoulos (!) en fin de match contre Boston sont aussi réels que l'humiliation qu'il a forcément ressentie.

La frustration de Carbo est compréhensible. Les problèmes de Kovalev ont en fait commencé bien avant le retour au jeu de Koivu. Le vétéran russe n'a que 35 points à sa fiche cette année. Avec 32 matchs à jouer, il se dirige vers une campagne à peine plus productive que sa désastreuse saison de 47 points, il y a deux ans. Pourtant, aucun attaquant n'obtient plus de temps de glace que lui chez le Canadien, que ce soit à forces égales ou en supériorité numérique. Un coach finit par se lasser...

(Tant qu'à être dans les comparaisons, en voici une autre: depuis le début de la saison, Saku Koivu a récolté 19 points en avantage numérique... seulement un de moins que Kovalev, qui a pourtant joué 17 matchs de plus. C'est toujours bien pas de la faute du système mis en place par Carbonneau!)

Bob Gainey pourrait toujours prendre la décision improbable d'échanger Kovalev d'ici la date limite des transactions. Sauf qu'il n'obtiendrait pas grand-chose en retour d'un gars de 35 ans aux feintes magiques, mais aussi régulier qu'un métronome cassé.

Non, Kovalev est ici pour rester, pour le meilleur et pour le pire. Le moment est venu pour Guy Carbonneau de prouver que sa nomination au trophée Jack-Adams, l'an dernier, était méritée. Le moment est venu de trouver une façon de relancer Alex Kovalev. Vaste programme, dont le résultat risque de déterminer si le centenaire du Canadien s'avère une réussite ou un échec.