Quand j'ai titré une de mes chroniques Profitez-en pendant que ça passe, lors du dernier Grand Prix du Canada, en juin, j'étais loin de penser que la fin arriverait si vite.

Encore que la fin, en ce qui concerne le Grand Prix, est une notion bien relative. D'un sauvetage à l'autre, l'épreuve fétiche des amateurs de sport automobile québécois a prouvé sa capacité à résister, sinon à la voracité de Bernie Ecclestone, du moins à l'absence de scrupules qui caractérise le grand patron de la F1, toujours prêt à passer à la trappe un pan du patrimoine de son sport s'il y a une piasse à faire. Quand même un circuit légendaire comme Silverstone perd sa place (à compter de 2010, au profit d'une nouvelle piste de 250 millions à Donington Park), on comprend que Bernie ne s'embarrasse pas de sentiments.

 

Dans ce contexte, survivre aussi longtemps que l'a fait le GP du Canada relève de l'exploit. Mais cette fois-ci, il est difficile d'imaginer comment la donne pourrait tourner à l'avantage de Montréal.

D'abord, on voit mal où une escale montréalaise s'insérerait dans le calendrier publié hier, maintenant que la place habituelle de la métropole est occupée par Istanbul.

Ensuite, à supposer que l'exclusion du GP du Canada soit une simple tactique de négociation de Bernie Ecclestone pour extorquer plus d'argent aux organisateurs, le vieux renard ne se donne sûrement pas autant de mal pour deux ou trois vulgaires petits millions. Il recherche probablement une somme qui ramènerait la redevance que lui verse Normand Legault pas loin du niveau stratosphérique qu'ont atteint des Grands Prix comme Valence ou Singapour.

Or, on voit mal comment Legault pourrait payer beaucoup plus qu'il ne le fait maintenant. Après tout, qui empoche les revenus de la publicité sur le circuit Gilles-Villeneuve? Bernie. Qui encaisse les profits du Paddock Club, ces loges VIP situées au-dessus des stands? Bernie. Qui perçoit les droits de télé de RDS? Tous ensemble: Bernie.

Normand Legault fait son fric avec une chose: la billetterie (et ses propres loges corporatives). Avec la popularité jamais démentie du Grand Prix, il n'est évidemment pas dans la rue. Mais sa marge de profit n'est sûrement plus ce qu'elle était.

Si le Grand Prix doit survivre, on n'y échappera pas: il va falloir «une plus grande implication de la Ville et des deux gouvernements, fédéral et provincial», comme l'a dit, hier, le maire de l'arrondissement de Ville-Marie, Benoit Labonté.

Ailleurs dans le monde, certains gouvernements ont décidé que le jeu en valait la chandelle. En Australie, par exemple, l'État de Victoria a perdu environ 120 millions depuis les débuts du GP de Melbourne, en 1996. Et pourtant, ça n'a pas empêché l'État de conclure cette année une nouvelle entente de sept ans avec Bernie Ecclestone, qui assure (en théorie!) la pérennité de la course jusqu'en 2015. Quelqu'un quelque part doit juger que les rentrées fiscales supplémentaires et la visibilité internationale que procure un Grand Prix justifient qu'on pige dans les coffres de l'État.

Je ne dis pas que ça n'arrivera pas ici. Mais j'ai de sérieux doutes, surtout que les recettes fiscales pour Québec et Ottawa, estimées en 2003 à 15 millions, ne sont pas exactement la mer à boire.