« Mais alors, qu’est-ce qu’on peut faire ? »

Beaucoup de lecteurs découragés m’ont posé cette question après avoir lu, la semaine dernière, l’enquête de mes collègues Tristan Péloquin et Martin Tremblay, suivie de ma chronique sur les ratés du marché volontaire du carbone.

C’était une chronique un peu sévère, dans laquelle je comparais les crédits de carbone aux indulgences que les prêtres vendaient autrefois à leurs ouailles sous prétexte de laver leurs péchés.

Je voyais dans ce marchandage une façon commode de se donner bonne conscience sans trop d’efforts.

Je maintiens mes critiques envers ce marché du carbone qui semble parfois être un marché de dupes. Mais s’il faut refuser les solutions miracles, il serait tout aussi désolant de jeter le bébé avec l’eau du bénitier.

Il y a une limite à ce que nous pouvons faire pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES). Bien sûr, nous pouvons composter, réduire notre consommation de viande, opter pour les transports en commun, etc.

Mais ce n’est pas toujours possible.

Personne, pas même le plus écolo des écolos, n’est carboneutre, à moins d’être mort. Et encore : une crémation dégage en moyenne 233 kg de CO2, selon une étude commandée par la Ville de Paris.

Une inhumation ? C’est pire : 869 kg de CO2, si l’on tient compte du transport du défunt, ainsi que de la fabrication du cercueil et de la pierre tombale. Nous sommes poussière et nous retournerons poussière (Genèse 3,19), mais pas sans avoir pollué un dernier coup.

D’ici là, que peut-on faire pour atténuer notre empreinte carbone sur cette planète, si les arbres qu’on nous « vend » pour compenser nos émissions risquent d’être rasés ou même… de n’être jamais plantés ?

Bonne nouvelle, il existe une solution crédible.

Après la chronique critique, voici donc la chronique utilitaire.

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D’abord, un constat : c’est un peu le Far West dans le marché volontaire du carbone au Québec. Mes collègues, qui ont déterré des cas troublants d’incompétence, n’ont probablement révélé que la pointe de l’iceberg.

C’est qu’on ne s’improvise pas planteur d’arbres, dit le biologiste Claude Villeneuve, directeur de la Chaire en éco-conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).

« Trois beaux-frères qui se partent une compagnie pour planter des arbres et qui font vérifier ça par leur cousin ingénieur forestier à la retraite… je ne suis pas sûr. »

C’est pourtant ce qui se passe, souvent, au Québec. Il existe, sans aucun doute, des gens de bonne volonté qui font du bon travail. Il y en a d’autres qui ont trouvé dans le marché du carbone un moyen facile de gagner de l’argent.

« Il faut comprendre que partout où il y a une piastre à faire, un moyen de rouler le monde dans la farine, il va y avoir des escrocs », laisse tomber Claude Villeneuve, sans toutefois juger les cas précis révélés par La Presse.

Des entreprises nées de la dernière pluie ont très peu de chances d’être encore fiduciaires des tonnes de carbone vendues dans 50 ou 100 ans. Or, c’est l’enjeu, si on veut parler de compensation réelle par des plantations.

Claude Villeneuve, biologiste

Il ne viendrait à personne l’idée saugrenue de signer un contrat les yeux fermés. Ça devrait être la même chose avec les crédits de carbone. Pour que ça marche vraiment, il faut exiger des garanties écrites – et prolongées.

Parce que oui, ça peut vraiment marcher.

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La solution crédible dont je vous parlais ?

Elle se trouve au nord du Lac-Saint-Jean, dispersée sur un territoire de 65 000 km2, entre le 49e et le 52e parallèle. Ça s’appelle Carbone boréal, et c’est le seul programme de compensation d’émissions de GES entièrement consacré à la recherche universitaire.

Depuis 10 ans, des centaines de milliers d’arbres ont été plantés dans des landes forestières, que les scientifiques appellent des « territoires dénudés secs », sortes de déserts boréaux où aucun arbre ne pousse de façon naturelle.

« On a créé des forêts dans des territoires où il n’y en avait pas », dit Claude Villeneuve, responsable du projet.

Depuis, des chercheurs de l’UQAC étudient ces forêts sous tous les angles. « On a eu l’idée de financer des bourses étudiantes avec ces plantations, qui nous servent de laboratoires. »

Ainsi, quand vous achetez des crédits auprès de Carbone boréal, vous ne faites pas que compenser vos émissions de GES, vous contribuez à l’avancement des connaissances dans la lutte contre les changements climatiques.

Et puisque vous financez la recherche universitaire, vous recevez un reçu aux fins d’impôt.

Mais surtout, on ne vous vend pas que du vent.

Avec ce programme, vous savez dans quelle zone ultraprotégée se trouvent « vos » arbres, qui ne risquent ni d’être coupés ni d’être attribués à d’autres. Votre nom figure dans un registre public, que vous pouvez consulter sur le web. Une transparence rare, mais cruciale dans ce marché en émergence.

Tout aussi crucial : Claude Villeneuve n’a pas d’intérêt financier dans Carbone boréal. « Ça ne change rien à mon salaire de professeur. Mon intérêt, c’est de faire avancer la science. »

Dans l’incertain marché québécois du carbone, voilà un placement garanti – et sans risques.