« Maman, l’eau goûte le métal à l’école ! »

Quand mon fils m’a dit ça, en début d’année scolaire, j’ai haussé les épaules. Bon, bon, bon, ai-je soupiré, encore l’imagination débordante de junior qui s’emballe…

Puis, j’ai lu l’enquête percutante de Caroline Touzin. Ma collègue a révélé hier que l’eau de certaines fontaines, dans certaines écoles, contenait des taux dangereusement élevés de plomb.

Là, c’est mon imagination à moi qui s’est s’emballée. Je sais bien que ce n’est pas le plomb qui donne un goût métallique à l’eau, mais quand même…

Quelles fontaines sont contaminées ? Dans quelles écoles ?

Et si celle de mon fils était du nombre ?

Soyons clairs : l’enquête de Caroline était un coup de sonde. Elle nous a fait prendre conscience du problème, mais ne prétendait pas être un portrait exhaustif de la situation dans le réseau scolaire québécois.

Pour ça, il faut des réponses du gouvernement.

En tant que parents, on aimerait bien savoir si nos enfants bousillent leurs neurones chaque fois qu’ils prennent une gorgée d’eau à la fontaine.

On aimerait bien savoir s’ils vont « grandir au plomb » en remplissant leur gourde d’eau contaminée pendant leurs années scolaires, comme l’a souligné Sébastien Sauvé, professeur de chimie environnementale qui a collaboré à l’enquête.

On aimerait bien savoir si nos enfants sont en train de s’empoisonner à petit feu. C’est la moindre des choses, non ?

Eh bien, non. Jusqu’ici, on n’a jamais pu le savoir. Parce que le gouvernement n’a jamais voulu nous le dire.

Mais le vent semble tourner. Enfin.

En réaction à l’enquête de Caroline et à celle du Soleil, publiée la veille, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a exigé hier que soit analysée l’eau de toutes les fontaines des écoles du Québec.

Il était plus que temps.

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Tester l’eau des fontaines. C’est une mesure si évidente, réclamée depuis tant d’années par les experts, qu’on se demande pourquoi il a fallu attendre des enquêtes journalistiques pour que le ministre Roberge l’impose enfin aux écoles.

Non seulement c’est une mesure évidente, mais c’est tout simple et ça ne coûte presque rien.

On ne parle pas de technologie de pointe. Rien de compliqué.

À 20 $ par échantillon testé, Sébastien Sauvé estime que l’analyse de toutes les fontaines d’une école coûterait un bon… 100 $, peut-être 200 $ dans les grands établissements.

« Je comprends que les écoles ont des budgets serrés, dit-il, mais ce n’est pas cher payé pour en avoir le cœur net. »

Deux cents dollars pour s’assurer que les élèves n’ingèrent pas quotidiennement une substance neurotoxique, ça me semble, en effet, une très bonne affaire.

Deux cents dollars pour s’assurer que les enfants, en fréquentant l’école, ne risquent pas de… perdre de 1 à 7 points de quotient intellectuel, comme l’indique un rapport de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

Ce rapport, dévoilé par Le Devoir en juillet, avait recommandé « aux instances concernées d’en apprendre davantage sur les niveaux de contamination de l’eau par le plomb dans les écoles et les garderies du Québec ».

Les « instances concernées » n’ont pas cru bon de donner suite à cette recommandation… jusqu’à hier.

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Trop longtemps, le gouvernement du Québec a joué à l’autruche dans ce dossier. Il a minimisé les risques et refusé de rendre publics les résultats de ses analyses.

En Ontario, on teste chaque année chaque robinet de chaque école, comme le recommande Santé Canada.

Au Québec, on a plutôt réglementé pour… éviter que les écoles soient visitées de « façon excessive » !

Vous avez bien lu. Le ministère de l’Environnement demande à ses fonctionnaires d’analyser l’eau des écoles une fois tous les cinq ans, et pas davantage.

C’est que, voyez-vous, il ne faudrait surtout pas importuner les directions d’école. Elles sont déjà dans le rouge, s’il fallait en plus les forcer à changer toute la tuyauterie…

Tout ça ne tient pas la route.

Si une école n’a vraiment, mais vraiment pas d’argent pour rénover, la solution peut être aussi simple que mettre un bout de « duct tape » sur une fontaine toxique.

Le ministre Roberge lui-même a assuré hier qu’en cas de dépassement des normes, les fontaines seraient condamnées. Ça ne coûte pas cher de diriger les élèves vers d’autres fontaines ou de leur offrir des pichets d’eau filtrée.

Mais ce n’est pas ce qu’on a fait. Jusqu’ici, quand on a trouvé du plomb dans l’eau des écoles, on a fermé les yeux, on s’est bouché les oreilles et on n’a rien dit aux parents.

J’imagine qu’on ne voulait pas les importuner, eux non plus.

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Enfin, mieux vaut tard que jamais. On ne peut que féliciter le gouvernement d’agir en se lançant dans le dépistage systématique du plomb dans l’eau des écoles.

Mais il ne doit pas s’arrêter en si bon chemin.

Les directives du ministère de l’Environnement doivent changer. Ses normes doivent être établies en fonction de la science, pas de quelconques économies à réaliser.

Pas si les enfants en paient le prix de leur santé.

Il faut aussi arrimer la norme québécoise – fixée à dix microgrammes par litre – à celle de Santé Canada, qui propose une norme plus sévère de cinq microgrammes par litre.

Et il faut que les fonctionnaires mettent un terme à cette pratique absurde de faire couler l’eau cinq minutes avant la prise de l’échantillon.

Cinq. Longues. Minutes.

Aucun enfant au monde ne fait couler l’eau cinq minutes avant de boire à une fontaine. Aucun adulte non plus, du reste.

Alors pourquoi Québec l’exige-t-il dans ses protocoles de recherche, si ce n’est pour minimiser le problème ?

« Mesurer après cinq minutes, ça correspond à ne pas vouloir voir le problème. Tu verras seulement les cas gravissimes », a expliqué Michèle Prévost, titulaire de la Chaire industrielle en eau potable de Polytechnique Montréal, à Caroline Touzin.

Mme Provost a raconté qu’à Hong Kong, un juge avait conclu en 2015 que « faire couler l’eau cinq minutes avant de la tester consistait à tromper sciemment les valeurs ».

Plus près de nous, Santé Canada recommande de ne pas faire couler l’eau avant de la tester.

Alors, qu’est-ce qu’on attend pour arrêter ça ?