En retard de quatre ans sur la planète littéraire, j’achève actuellement le deuxième tome de Vernon Subutex de l’écrivaine Virginie Despentes. C’est une fresque fascinante sur Paris, ses habitants friqués ou paumés, la drogue, le sexisme, le rock, la porno et les mutations de la société française. Une œuvre brillante, écrite avec acuité et fureur.

Évidemment, une série télé de Canal+ a dérivé de la trilogie de romans de Virginie Despentes, avec Romain Duris dans le rôle-titre. Cette série sortie en avril m’interpelle « fuck all », comme dirait un millénial quand on lui demande si un abonnement au câble l’intéresse.

Pourquoi ? Parce que les livres de Despentes sont parfaits comme tels et que le lecteur ne peut être que déçu par leur transposition au petit écran. Ayant collaboré au scénario, Virginie Despentes a elle-même démoli la série Vernon Subutex, affirmant que la réalisatrice n’avait rien compris de son œuvre.

C’est la même chose qui s’est produite avec La vérité sur l’affaire Harry Quebert, de l’auteur Joël Dicker. Quand le bouquin a été publié il y a six ans, je l’ai dévoré. D’un trait. C’est un thriller passionnant (page-turner) qui vous aspire dès les premiers paragraphes.

C’était clair que la série ne porterait pas le même souffle que le best-seller, dont la chronologie a été habilement déconstruite par le jeune écrivain suisse. 

Un seul épisode de La vérité sur l’affaire Harry Quebert, disponible dans son entièreté sur l’Extra de Tou.TV, vous convaincra de la mocheté du projet.

D’abord, la réalisation du cinéaste Jean-Jacques Annaud (Le nom de la rose, La guerre du feu) paraît datée avec son abus de fondus au noir et sa musique omniprésente, quétaine au maximum. C’est paresseux et poussif.

Ensuite, le comédien qui joue le héros Marcus Goldman, un dénommé Ben Schnetzer, est zéro crédible. Qui croit vraiment à son personnage censé être une superstar de la littérature new-yorkaise ? Il n’a pas l’arrogance, la confiance et la superbe décrites dans le roman d’origine.

Il faut aussi se parler de l’acteur Patrick Dempsey, alias Derek Shepherd, alias McDreamy dans Grey’s Anatomy. Harry Quebert, c’est lui, un professeur d’université qui a publié un classique de la littérature américaine, au même titre que L’attrape-cœurs de J.D. Salinger. Harry Quebert habite une superbe maison du Maine plantée au bord de la mer.

Patrick Dempsey incarne Harry Quebert à trois époques (1975, 1998 et 2006). À part ses cheveux qui grisonnent, son physique et son visage ne changent à peu près pas. Ça ne fonctionne pas. Personne n’est dupe.

Maintenant, pour ceux qui n’ont pas lu cette brique de 670 pages, La vérité sur l’affaire Harry Quebert s’articule autour d’un assassinat jamais résolu. En août 1975, une adolescente de 15 ans, Nola Kellergan, disparaît mystérieusement de la petite municipalité de Sommerdale, dans le Maine.

Trente et un ans plus tard, à l’automne 2006, la police déterre le squelette de la jeune Nola dans le jardin de Harry Quebert (oups !), qui admet avoir entretenu une liaison avec l’adolescente, mais nie l’avoir tuée. La police l’emprisonne, malgré l’absence de preuves béton.

Convaincu de l’innocence de son ancien professeur et mentor, le brave Marcus Goldman se décarcasse pour rouvrir l’enquête, qui lui réserve plusieurs surprises.

Si efficaces dans le livre, les nombreux allers-retours dans le passé alourdissent la structure de la télésérie commandée par TF1. Plusieurs personnages du roman perdent du coffre à la télé et se transforment en grosses caricatures. Et si c’était possible de fermer le clapet au narrateur des dix épisodes d’une heure, qui raconte le moindre détail insignifiant, on le ferait sans hésiter.

La vérité sur l’affaire Harry Quebert a été tournée en grande partie à Forestville, à l’été 2017. C’est joli, la Côte-Nord, mais ça ne ressemble aucunement à une plage du Maine ou à la Nouvelle-Angleterre, où se déroule ce meurtre et mystère. Les Français n’y ont peut-être vu que du feu. Pas nous. On connaît notre géographie, ici.

Quant à Sommerdale, qui s’appelle Aurora dans le bouquin, elle a été reconstruite à Frelighsburg, dans les Cantons-de-l’Est. C’est nettement mieux réussi.

Contrairement à L’amie prodigieuse d’Elena Ferrante, La vérité sur l’affaire Harry Quebert a raté son passage à la télé. Radio-Canada relaiera (gratuitement) les épisodes la saison prochaine. Comme ça, vous n’aurez pas à payer un abonnement pour souffrir. Vous me remercierez plus tard.