Ça doit être mon passé de reporter de faits divers. Ça ne peut être que ça. Je ne vois rien d'autre. Sinon, pourquoi passerais-je des soirées entières à dévorer des histoires vraies - et glauques - de disciples orangés qui fomentent des assassinats ou d'anciennes camarades de classe de Baltimore qui traquent depuis 40 ans le meurtrier de leur enseignante adorée ?

Ce genre télévisuel qui suscite la dépendance, appellé « true crime », me fascine. C'est grave. De Making a Murderer à The Keepers, en passant par Wild Wild Country, je les ai tous dévorés le temps qu'une balle verte descende le tableau de Face au mur. Sans blague, c'est du crack télévisuel, tout ça. Une cure de désintox s'impose quasiment.

Le facteur « c'est arrivé près de chez vous » joue beaucoup dans notre obsession pour ces histoires réelles bourrées de revirements inattendus et d'individus louches. Votre voisin asocial qui passe ses après-midi dans une boutique La Source à farfouiller dans les fils et les batteries devient soudainement hyper suspect. Tout comme cette gentille dame qui vit seule avec ses trois chats, mais qui vient de se faire livrer un congélateur de type industriel. Allô, Anne Dupuis de Faits divers !

Ce n'est toutefois rien en comparaison avec la fascinante et épeurante Marjorie Diehl-Armstrong, au coeur de la dernière offrande criminalistique de Netflix, Evil Genius. Les sourcils rasés de Marjorie, sa voix de crécelle et son regard diabolique m'ont même fait faire des cauchemars.

La série documentaire Evil Genius, offerte en français, ne compte que quatre épisodes d'une heure et s'engloutit en une soirée. Elle a été produite par les excellents frères Mark et Jay Duplass, les mêmes qui ont remis sur la carte le gourou Bhagwan et la méchante Sheela de Wild Wild Country.

Evil Genius démarre le 28 août 2003, dans la petite municipalité d'Erie, en Pennsylvanie. Un livreur de pizza sans histoire braque alors une banque en exigeant un quart de million en argent liquide. Banal, dites-vous ? Attendez. La suite se révèle extrêmement tordue.

Armé d'une canne-fusil - ce n'est pas une blague -, le voleur porte une bombe fixée autour de son cou à l'aide d'une menotte artisanale géante. Pour désamorcer l'engin et sauver sa peau, le braqueur devait se lancer dans une sadique chasse au trésor partout dans la ville, quasiment comme à Fort Boyard.

Malheureusement, la bombe détone devant un mur de caméras de télévision, tuant en direct celui qui l'avait toujours autour du cou. Mais qui a bien pu orchestrer un rituel aussi cruel ?

La police identifie rapidement plusieurs suspects, dont la mystérieuse Marjorie Diehl-Armstrong, une femme de 54 ans titulaire d'une maîtrise, mais qui souffre de graves troubles de santé mentale.

Naguère d'une beauté hypnotisante, Marjorie s'est transformée en manipulatrice de haut niveau capable de camoufler les meurtres de ses conjoints. Cette Marjorie vous fera douter de son implication - ou non - dans cette affaire pétée jusqu'à la dernière minute.

Autour d'elle gravitent des gens pas plus nets, encore plus bizarres. Il y a une prostituée junkie, un cadavre gelé, un accumulateur compulsif qui en pince pour Marjorie, un vendeur de dope sans scrupule et un deuxième livreur de pizza, qui finit lui aussi au cimetière. Réjean Tremblay aurait pondu ce scénario et on l'aurait accusé d'en fumer du bon.

Les liens unissant ces personnages sortis d'un film des frères Coen se tissent habilement sous nos yeux. Et tout n'est pas noir ou blanc dans le récit. La méchante Marjorie devient, par bouts, attachante. Honnêtement, on finit même par compatir avec cette horrible personne qui a vécu de gros traumatismes.

À travers le hold-up se faufilent des intrigues d'héritages familiaux, de tueurs à gages et de segments de prison à la Unité 9.

Ces nouveaux documentaires qui cartonnent sur Netflix sont bâtis exactement comme des séries de fiction. Un indice crucial est découvert à la fin d'un épisode ! Un témoin clé se manifeste avant le début de la prochaine heure !

Au-delà de son côté sensationnel, Evil Genius explore également les ravages de la maladie mentale et ses effets dévastateurs sur ceux qui en sont atteints. La descente aux enfers de Marjorie Diehl-Armstrong l'illustre parfaitement. De reine du bal, elle est passée à une anonyme du système carcéral.

Déclenchez le premier épisode d'Evil Genius et vous sautez dans des montagnes russes de quatre heures. Sans possibilité de descendre. Bouclez bien votre ceinture.