Le Québec raffole des contes de fées, des histoires de gens poqués qui reviennent de très loin et qui s'en sortent. La victoire à l'arraché de Stéphanie St-Jean, qui a battu dimanche le grand favori Travis Cormier lors de la finale de La voix, c'est exactement ça.

Atteinte d'un trouble de personnalité limite, la nouvelle championne de la télé-crochet de TVA, âgée de 25 ans, a traversé de difficiles périodes noires, qui l'ont souvent conduite à l'hôpital psychiatrique. À La voix, son parcours n'a pas été de tout repos non plus.

La Gatinoise aux longues dreadlocks a opté, après son audition à l'aveugle, pour Éric Lapointe, qui l'a larguée à l'étape des duels en lui préférant l'écorché Thomas Argouin. Oups.

N'empêche. Repêchée par Pierre Lapointe, qui doit s'en frotter les mains aujourd'hui, Stéphanie St-Jean a transpercé les chants de bataille et n'a jamais abandonné. Cette ténacité indestructible et cette joie de vivre contagieuse ont conquis le public, semaine après semaine, jusqu'au couronnement surprise de dimanche.

Car avec 32 % du vote, Stéphanie St-Jean s'est faufilée de justesse devant le chouchou Travis Cormier, 22 ans, qui a récolté 31 % des appuis populaires. Les téléspectateurs ont jugé, avec raison, que Stéphanie profiterait pas mal plus du contrat de disque et des 50 000 $ en argent comptant que Travis, dont la carrière se poursuivra même s'il a été détroussé du titre convoité.

Stéphanie St-Jean était la seule qui avait le potentiel de freiner la Travismania. On l'a constaté en quart de finale de l'émission quand elle a arraché, avec son puissant Oh Happy Day!, 93 % des suffrages, un record de tous les temps à La voix. À partir de ce moment charnière, son étoile n'a cessé de briller encore plus fort.

Dimanche soir, pour interpréter Ma chambre, une pièce composée par son coach Pierre Lapointe, Stéphanie St-Jean a retrouvé sa chorale gospel magique. Le texte de la chanson, qui faisait référence à ses hospitalisations et à ses idées sombres, lui collait parfaitement. Elle a du coffre et de la force, notre Stéphanie.

C'est rarissime qu'un artiste déjà établi comme Yvan Pedneault ou Travis Cormier remporte La voix. Les fans préfèrent donner une tape dans le dos à la personne qui l'a eu moins facile, mettons.

Autre facteur qui a sûrement joué en faveur de Stéphanie: l'écoeurantite envers la Travismania. C'est clair que des téléphiles ont voté contre Travis uniquement pour contrecarrer son triomphe, qui semblait planifié depuis la première note qu'il a poussée sur Dream On d'Aerosmith. Cela dit, Stéphanie n'a pas volé son trophée, au contraire.

Personne ne s'inquiète actuellement du sort de Travis Cormier. Le rockeur acadien, après avoir massacré Bed of Roses de Bon Jovi la semaine dernière, a été solide dimanche. Comme sa copine vit à Los Angeles, Éric Lapointe s'est inspiré de cette relation à distance pour offrir à Travis la pièce originale Acadie Los Angeles, du rock'n'roll taillé sur mesure.

Sur une scène, Travis est un naturel. Il bouge bien, multiplie les accolades aux guitaristes et donne tout un spectacle. Alors que la mode musicale est actuellement à la pop ultra-sucrée ou au hip-hop tonitruant, Travis incarne le retour à un rock plus classique, lui qui a grandi en se gavant de Guns N'Roses, AC/DC et Aerosmith.

Par contre, il lui reste du travail à accomplir dans la prononciation des paroles en français. Dimanche, ce que Travis chantait en direct se décodait péniblement.

Et quand la vidéo d'appui de son amoureuse est apparue à l'écran, je me suis dit: ça y est, c'est terminé, Travis vient de gagner avec des larmes, c'est injuste pour les trois autres. Mais non. Impossible de ralentir la montée de Stéphanie St-Jean.

Pour Yvan Pedneault (22 % du vote), Marc Dupré a écrit une «power ballade» intitulée La dernière fois, qui manquait de tonus. Je préfère quand Marc Dupré confectionne des vers d'oreille plus rythmés comme Fou ou Sortir de l'ombre, qui ont propulsé Olivier Dion au sommet des palmarès. Comme d'habitude, Yvan Pedneault a été parfait. Sa constance dans l'aventure a été impressionnante.

Dans un décor d'inspiration maritime, Noémie Lorzema (15 % du vote) a hérité du refrain le plus accrocheur de la soirée, Tout donner, gracieuseté d'Ariane Moffatt. Elle aussi peut partir la tête haute.

De tous les numéros présentés dimanche, celui de Marie-Pierre Arthur (Rien à faire, Emmène-moi, Si tu savais) a été le plus réussi. Quel beau party de filles.

Par contre, les mises en scène manquaient d'ingéniosité et de cohérence. Pourquoi la popstar canadienne Alessia Cara a-t-elle été plantée derrière un mur de vieux CD? Pourquoi deux danseurs de tango tourbillonnaient-ils pendant Les dauphins et les licornes des Trois Accords?

Ça faisait un peu boboche en comparaison avec la flamboyance et l'extravagance des galas de Star Académie. Ça manquait aussi de grands noms. La formation DNCE, menée par Joe Jonas, ancien membre des Jonas Brothers, c'est amusant, mais ce n'est pas aussi prestigieux qu'une Lady Gaga, un Lionel Richie ou une Céline Dion.