Il n'y a presque pas eu de grogne populaire quand Radio-Canada a sabré 657 emplois en avril dernier. Et il n'y aura pas - j'espère me tromper - de levée de boucliers avec l'annonce du virage numérique minceur du radiodiffuseur public, qui entraînera la disparition de plus de 1000 autres emplois d'ici 2020.

Il y a une indifférence généralisée par rapport à ces rondes de compressions majeures qui fragilisent la SRC depuis cinq ans déjà. Le gouvernement conservateur en place démantèle la grande tour brune brique par brique et à peu près personne, en excluant les syndicats, ne dénonce cette démolition.

Il y a bien eu cette vidéo «virale» (emploi de guillemets ironiques ici) mettant en vedette 13 musiciens, mais elle n'a pratiquement pas eu d'écho ni d'impact. C'est l'apathie, le haussement d'épaules et la résignation chez les «gens à la maison». Bof, des compressions, il y a plein d'usines qui ferment ou qui déménagent au Mexique, pourquoi pleurer sur le sort des Radio-Canadiens?

La bataille de l'opinion publique, les employés de la SRC ne la gagnent pas présentement. Encore pire: à lire les commentaires virulents de nombreux lecteurs, on jurerait qu'une bonne partie de la population souhaite carrément que l'on dynamite l'institution. Les employés de Radio-Canada perdent un bras dans le tordeur? Vous réclamez l'amputation du deuxième membre. Coupons dans le gras! Des émissions phares comme Enquête sont déplumées? On entend: bah, faudra aussi jeter à la poubelle Cap sur l'été, Pénélope McQuade et Pour le plaisir, tant qu'à passer la serpillière.

Qu'est-ce que ça va prendre pour que la majorité silencieuse sorte de sa torpeur? Il faut dire que certaines décisions prises récemment n'ont pas aidé à faire grimper la cote d'amour de Radio-Canada. Le passage raté à l'appellation ICI a coûté cher pour très peu de résultats convaincants. Pourtant, les personnes qui ont orchestré ce fiasco marketing occupent toujours leurs postes de direction. Ce sont elles qui devraient écoper, à mon avis. Pas les jeunes travailleurs qui s'accrochent au pont de ce Titanic médiatique sur le point de couler.

Le plus absurde, c'est que la transformation numérique proposée hier par la SRC s'effectuera sans la relève, qui ne réussit jamais à obtenir des postes convenables depuis des années.

En point de presse téléphonique hier après-midi, les patrons Louis Lalande et Hubert T. Lacroix ont multiplié les formules punchées comme «vision numérique», «nouvelles formes narratives» et «réinvention». Concrètement, ils n'ont pas été capables de dire de quelle façon ils comptaient «retenir les jeunes talents» au sein de Radio-Canada.

En réduisant «ses infrastructures trop grosses, trop coûteuses et trop complexes», la SRC s'aligne sur le modèle économique d'une chaîne privée comme V, qui ne produit plus aucune émission à l'interne, confiant ces activités à des boîtes indépendantes comme Zone 3 ou Attraction Images. La raison est toute simple: les producteurs indépendants ont accès à une série de programmes de financement dans lesquels les grands réseaux ne peuvent piger.

Maintenant, est-ce que les contribuables qui financent Radio-Canada veulent que leur radiodiffuseur ressemble à V ou à TVA? Faudra-t-il redéfinir un nouveau mandat pour la télé publique?

Pour l'instant, la SRC protège l'ensemble de ses émissions à heure de grande écoute et les effets des restrictions budgétaires ne paraîtront pas trop dans nos salons. Pour l'instant. Car, depuis quelques années, le même manège se répète. Les syndicats aboient, les compressions passent et la symphonie des ciseaux repart de plus belle devant un auditoire amorphe.