On dit d'une série télé qu'elle «saute le requin» quand la qualité du scénario, après avoir atteint son zénith, commence à se dégrader au point où les téléspectateurs décrochent massivement.

Cette expression de la culture populaire date de 1977 et provient d'un épisode de la cinquième saison de Happy Days où le personnage de Fonzie (Henry Winkler) saute vraiment par-dessus un requin en pleine séance de ski nautique. C'est le genre de scène absurde qui nous fait dire: OK, cette émission est devenue complètement ridicule, je ne le regarderai plus, ciao, merci pour ces belles années.

Le cas classique du «sautage de requin» demeure, encore aujourd'hui, la résurrection magique de Bobby Ewing (Patrick Duffy) au début de la dixième saison de Dallas en septembre 1986. Rappelez-vous, la mort de Bobby avait été rêvée par Pamela! D'un ridicule consommé.

La télésérie True Blood, dont la septième et dernière saison décolle dimanche à 21h sur les ondes HBO Canada, a «sauté par-dessus le requin» depuis très longtemps déjà. Quand exactement? Vous avez l'embarras du choix: le quotient intellectuel de Jason Stackhouse (Ryan Kwanten) qui dégringole d'année en année, l'apparition de créatures surnaturelles totalement inutiles à l'histoire (une panthère-garou, vraiment?), la sorcière Marnie qui a fait dévier les intrigues, les vampires qui s'intoxiquent au sang de Lilith ou l'ensemble des décisions amoureuses de Sookie Stackhouse (Anna Paquin), le buffet de niaiseries est copieux.

Personnellement, je voterais pour la scène psychédélique où, dans la quatrième saison, il a neigé sur la fée Sookie Stackhouse et le vampire viking Eric Northman (Alexander Skarsgard) pendant qu'ils se lavaient sous la douche. Tellement risible.

Malgré ces sauts de requin à répétition, nous sommes toujours hyper nombreux à suivre cette fable sexy sur la coexistence des vampires et des êtres humains à Bon Temps, en Louisiane. Pourquoi s'imposer cette souffrance télévisuelle? Excellente question. Peut-être que nous sommes légèrement masochistes ou juste assez optimistes pour espérer une finale extraordinaire.

Car True Blood ne survivra pas à cette septième saison, que Super Écran relaiera en français à partir du 10 octobre. HBO a débranché la production, mais promet une conclusion - c'était à prévoir - dans le sang.

Au Québec, les téléromans et téléséries durent rarement assez longtemps pour se permettre de sauter le requin.

Par exemple, 19-2 n'a que deux années au compteur, ce qui rend le saut quasi impossible. Par contre, l'arrivée de la deuxième Virginie dans Virginie a signalé le début de la fin du feuilleton de Fabienne Larouche à la SRC.

Un exemple typique de saut de requin a tué la sitcom Roseanne dans sa neuvième saison, en 1997. Dépeignant le quotidien d'une famille de classe (très) moyenne de l'Illinois, cette série mettait en vedette l'humoriste Roseanne Barr et l'acteur John Goodman, dont les personnages tiraient le diable par la queue, vivotant de jobine en jobine. Puis, pouf! , la famille a raflé 108 millions à la loto. Ce fut terminé pour Roseanne, les téléspectateurs ne s'identifiant pas du tout aux problèmes de nouveaux riches de ce clan dysfonctionnel.

Parfois, un saut de requin est purement esthétique. L'actrice-vedette de la télésérie Felicity, Keri Russell, a coupé ses longues bouclettes après le tournage de la première saison en 1999. Grave erreur. Les cotes d'écoute ont plongé dramatiquement et la jeune actrice a refusé de porter une perruque ou des rallonges le temps que sa crinière repousse. Les fans de Felicity ne lui ont jamais pardonné cette trahison capillaire.

Dans Lost, plusieurs sites web spécialisés décrivent la rencontre fatale entre Monsieur Eko et le monstre de fumée (dans la troisième saison) comme étant le moment «saut de requin» ultime. L'incendie de la banlieue californienne d'Agrestic, au dernier épisode de la troisième saison de Weeds, a aussi fait fuir certains des fidèles les plus endurcis. La famille Botwin a ensuite bourlingué un peu partout aux États-Unis et au Mexique, parfois à bord d'un Winnebago, ce qui a donné des moments moins glorieux, mettons.

Le soap pour ados The O.C. contient un de mes sauts de requin préférés.

Complètement paniquée, la belle Marissa Cooper (Mischa Barton) fait feu en direction du méchant Trey, qui s'écroule au ralenti sur les rythmes robotiques de la chanson Hide and Seek d'Imogen Heap. C'était parfaitement grotesque. L'émission Saturday Night Live en rigole encore 10 ans plus tard. Marissa Cooper a ensuite été tuée dans un accident d'auto à la fin du troisième chapitre. Mauvais karma pour elle.

Je lance ici un appel à tous: quels sont vos «sauts de requin» préférés dans des émissions québécoises? Ça serait bien rigolo d'en publier un palmarès. Telle une Louise Deschâtelets remplie de compassion, j'éplucherai votre courrier avec avidité.