Le propriétaire de cinémas Vincent Guzzo aurait eu raison de dire que la 15e soirée des Jutra d'hier soir a été à l'image de la cinématographie québécoise de 2012 : déprimante et lamentarde.

En poussant plus loin, M. Guzzo aurait aussi eu raison de dire que la SRC aurait dû concocter un gala «que le vrai monde veut voir». Un gala distrayant et comique qui aurait pu être accompagné d'un popcorn salé et d'une liqueur diluée. Hélas, ce ne fut pas le cas. Ce fut une émission ponctuée de malaises.

C'est cruel à écrire, mais le gala des Aurore d'Infoman, qui célèbre le pire du cinéma québécois avec un humour décapant, a été beaucoup plus divertissant. Le tout, compressé en 30 minutes délirantes. Et 611 000 téléspectateurs ont assisté à cette remise des Aurore jeudi, ce qui battra sûrement le score du gala des Jutra diffusé en direct hier soir à Radio-Canada.

Pauvre Rémy Girard, un acteur si talentueux. Il a hérité du pire mandat télévisuel en 2013, soit celui d'intéresser des centaines de milliers de téléspectateurs à un gala qui a fêté des oeuvres presque confidentielles. Des oeuvres n'ayant pas réussi à extirper les cinéphiles de leurs sofas. Comme l'a remarqué Podz lors de son passage à Tout le monde en parle: un seul épisode de 19-2 à Radio-Canada a été plus vu que les films L'affaire Dumont, Camion, Rebelle et Laurence Anyways réunis.

Vêtu d'un chic tuxedo, Rémy Girard, qui a piloté la première fête des Jutra en 1999, a ouvert sa soirée avec un numéro très original, entrecoupé d'extraits de films québécois classiques. Beaucoup d'autodérision dans ce tour de piste initial. Comme il n'a jamais raflé de Jutra, Rémy Girard a sifflé : de toute façon, je vise l'hommage.

Le triomphe hyper prévisible de Rebelle, qui s'est faufilé jusqu'aux Oscars, faut-il le rappeler, a ensuite tué toute forme de suspense. Et sur les ondes de TVA, c'était la première ronde des prestations en direct à La voix. Immense tentation à zapper.

Sans vouloir tourner le fer dans la plaie, Rebelle, malgré son étincelant parcours international, n'a été vu en salle que par 16 667 Québécois, selon le site filmsquebec.com. Ce n'est même pas la pleine capacité d'un Centre Bell. Michel Côté a d'ailleurs posé la question la plus pertinente de ce gala de presque trois heures : pourquoi ne sommes-nous pas plus curieux de nos productions québécoises?

Et soyons honnête ici : Serge Kanyinda de Rebelle et Sabrina Ouazani de Inch'Allah qui gagnent, c'est moins bon pour les BBM - et c'est moins glamour - qu'un Xavier Dolan enflammé ou une Suzanne Clément inspirée, par exemple. Sans rien enlever au talent de tous ces artisans, bien sûr.

Les galas de Jutra qui caracolent sont toujours ceux s'articulant autour de des films à la fois populaires aux guichets et de très grande qualité, comme du temps de C.R.A.Z.Y. ou Les invasions barbares.

Dans cette mélasse de pubs, d'autopromotions et de plogues de commanditaires, il y a eu plusieurs maladresses hier soir. Les trois jeunes acteurs de la comédie Les Parent ont répété 26 fois qu'ils n'ont vu aucun des films en lice pour le Jutra du meilleur scénario. Peu élégant et peu respectueux comme sketch, surtout en cette période de disette, où les films d'ici ne rejoignent pas leur public.

Marc Messier s'est accroché les pieds pendant l'hommage qu'il rendait à son ami Michel Côté. Heureusement, l'éloquence et la prestance de Michel Côté ont réchappé ce moment bizarre.

Rita Lafontaine et Clémence Desrochers, dans leurs personnages de La grande séduction, paraissaient confuses et brouillonnes. Résultat: nous avions un peu l'impression que le prix qu'elles présentaient perdait de l'importance.

Parmi les bons coups, je note les apparitions de Didier Lucien dans une kyrielle de films, qui ont toutes été coupées au montage. Très sympathiques aussi les bandes annonces remixées de La neuvaine en thriller et celle de Bon cop, bad cop en film d'auteur. Super idée.

Le plus beau moment d'émotion est cependant survenu à la fin, quand le nom de Rachel Mwanda du film Rebelle est sorti de l'enveloppe pour la meilleure actrice. Émue et sonnée, l'adolescente congolaise a frôlé l'évanouissement. Heureusement que Pascale Bussières et Alexis Martin l'ont retenue.

Comme téléspectateur, on avait le goût de traverser l'écran et de serrer la fragile Rachel dans nos bras. On aurait aussi eu le goût de prendre Rémy Girard par les épaules pour lui dire: «ce n'est pas grave, ce gala ne passera pas à l'histoire et d'autres rôles magnifiques vous attendent».