C'est à une partie de soccer de sa plus vieille, Emma-Rose, 5 ans, que Nathalie Slight a été mise en contact avec ce livre sulfureux, qui fait rosir de plaisir des millions de lectrices depuis sa sortie au printemps dernier. Quoi? Tu n'as pas encore lu Fifty Shades of Grey? Tiens, prends ma copie, discrètement.

«Au soccer, presque toutes les femmes, de jeunes mères de famille comme moi, en parlaient. Je l'ai finalement lu en trois jours. C'est un peu comme Hunger Games ou Twilight. Sauf que l'auteure va très loin dans la description des scènes de sexe», détaille Nathalie Slight, 40 ans, journaliste pigiste pour TVA Publications.

Fifty Shades of Grey, qui se décline en trois tomes de 500 pages, raconte l'histoire d'Anastasia Steele, 21 ans, jeune et jolie diplômée en littérature très fleur bleue. Le jour où elle croise le milliardaire (et pétard extraordinaire) Christian Grey, 27 ans, patron d'une multinationale, sa vie bascule.

Voyez-vous, Anastasia est vierge et ne s'est même jamais masturbée. Christian, lui, a des goûts au lit plutôt exotiques: soumission, fessée, ligotage, jeux de rôles, sadomasochisme, suspension, rajoutez-en, Christian adore ça. Il possède même un donjon secret dans son penthouse surplombant Seattle.

C'est ici que ça se corse. Christian offre la vie des gens riches et célèbres à Anastasia: vol en hélicoptère, jet privé, voiture de luxe, etc. Car Christian est sophistiqué et joue du piano comme un dieu alors qu'Anastasia, moins glamour, classe des boulons - à mi-temps - dans une quincaillerie familiale.

En échange de tout ce bling-bling, Anastasia devra cependant se soumettre entièrement à Christian et assouvir le moindre de ses désirs sexuels. Même les plus pervers.

Érotisme heavy métal

Prostitution, vous dites? Attendez. En bon dominant, Christian propose un contrat fleuve à sa soumise Anastasia qui balisera, point par point, leur relation tordue. Anastasia doit dormir un minimum de huit heures par nuit, s'entraîner quatre fois par semaine et être épilée en tout temps. De plus, en paraphant le contrat, Anastasia ouvre la porte à de l'érotisme heavy métal, un domaine totalement inconnu pour elle.

Évidemment, Anastasia tombe en amour avec cet homme tourmenté, froid et calculateur, qui refuse d'être touché. Acceptera-t-elle l'offre de Christian de lui obéir au doigt, à l'oeil et au fouet?

La trame de Fifty Shades of Grey mélange des éléments d'un roman Harlequin, des films Pretty Woman et Proposition indécente, de livres plus classiques comme Histoire d'O de Pauline Réage, de la chick-lit à la Bridget Jones ainsi que de la saga Twilight, dont les personnages principaux, Bella et Edward, ont servi de canevas pour créer Anastasia et Christian. D'ailleurs, les premiers chapitres de Fifty Shades ont d'abord été mis en ligne sur des sites de fans de Twilight.

Pure inconnue, l'auteure de Fifty Shades, E.L. James - Erika James de son vrai nom -, ne prétend pas avoir pondu un prix Goncourt. Au contraire, elle souhaite simplement, grâce à son héroïne naïve, «donner des vacances de leurs maris» à toutes ses lectrices.

Monstre érotico-littéraire

Vraiment, E.L. James, dont c'est la première oeuvre, n'a rien inventé. Pourtant, cette Britannique de 49 ans, mère de deux ados, a créé un monstre érotico-littéraire. Depuis sa publication en avril, plus de 16 millions d'exemplaires des trois tomes de Fifty Shades ofGrey, dont 10 millions dans les six premières semaines, ont été vendus aux États-Unis seulement. Et les studios Universal et Focus Features ont craché 5 millions pour les droits d'adaptation au cinéma de Fifty Shades, soit 2 millions de plus que pour ceux du Code Da Vinci.

La vague de mommy porn, comme l'a baptisée le New York Times, déferle sans se calmer. Ne vous surprenez donc pas, sur une plage du Maine, si vous voyez des rangées de vacancières le nez plongé dans ce bouquin noir, dont la page couverture arbore une cravate gris métallique (qui sert à attacher les poignets d'Anastasia, bien sûr). La popularité des tablettes numériques a également dopé les ventes de ce best-seller, pour toutes celles, plus gênées, ne désirant pas afficher publiquement leur goût pour la littérature de boudoir.

Entre vous et moi, Fifty Shades of Grey n'est pas un grand livre. Loin de là. C'est mal écrit et bourré de clichés. Anastasia, qui ne sait pas faire fonctionner un ordinateur (hein?), rougit à toutes les pages, se mord la lèvre inférieure 246 fois et roule des yeux, tandis que Christian jette constamment des regards intenses à sa protégée tout en lui jappant des ordres. Mange! Assieds-toi! Ne bouge pas!

Pourtant, une fois qu'on plonge dans cet univers sado-coquin, on veut bien sûr savoir comment ça va se terminer. C'est exactement le même processus qui se produit lorsque l'on croise un gros accident sur l'autoroute. On sait qu'il ne faut pas ralentir et regarder. Mais on le fait tous quand même.

La traduction française de Fifty Shades of Grey, dont le titre officiel serait Cinquante nuances de Grey, sortira fin octobre, début novembre, aux Éditions Jean-Claude Lattès. Le deuxième tome suivra en janvier 2013 et le troisième, deux mois plus tard.

D'ici là, le phénomène pâlira-t-il à Douze tons de beige? Ou deviendra-t-il encore plus rouge ardent? Messieurs, préparez vos cravates grises, on ne sait jamais.

Je lévite

Avec Il pleuvait des oiseaux de Jocelyne Saucier. Un des plus beaux romans que j'ai lus cette année. Et de loin. Dans un coin perdu du nord de l'Ontario, on y croise deux ermites des bois, une photographe empathique, une petite veille très spéciale et des souvenirs atroces de feux de forêt meurtriers. L'écriture est superbe, délicate et parfaitement maîtrisée.

Je l'évite

La finale d'Entourage. J'ai suivi les huit saisons de cette série avec grand bonheur. Mais le tout dernier épisode à vie d'Entourage était ridicule. Un mariage à Paris en moins de 24 heures? Une grossesse qui réconcilie tout le monde et un divorce qui se raccommode grâce à un groupe de style Il Divo? Franchement.

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