Fini les regards torves, les silences chargés de haine et les gros plans interminables sur des visages crispés de dégoût. Et, autre grand classique, fini les verres de scotch en cristal auxquels s'agrippent les personnages bien coiffés comme si leur vie en dépendait.

Le plus vieux soap de la télé américaine, As The World Turns, stoppera sa rotation le 17 septembre après 54 ans à l'antenne de CBS. Chez nous, Global relaie ce feuilleton du lundi au vendredi à 15h.

En septembre 2009, c'était au tour de Guiding Light de s'éteindre après plus de 72 ans en ondes en y incluant les 15 premières années à la radio. Rajoutez au lot la retraite du monde de l'enseignement de Virginie, prévue à la fin décembre et le constat nous frappe comme la claque donnée par la belle-mère diabolique à sa fille amnésique et médicamentée: les soaps glissent sur une pente savonneuse.

Environ 2,5 millions de fans américains de As The World Turns (ATWT) se délectaient encore des péripéties de la famille Lowell d'Oakdale, en Illinois. C'est beaucoup pour un téléroman-savon qui joue en après-midi alors que la majorité d'entre nous pianotent à l'ordinateur, mais en comparaison avec les 6,7 millions de fidèles qui s'accrochaient à ATWT en 1991-1992, c'est une chute dramatique.

Pour votre info, c'est Procter&Gamble, le géant américain derrière les marques Tide et Dawn, qui finançait en partie As The World Turns et Guiding Light. Colgate-Palmolive et Lever Brothers (Dove et Lux) ont longtemps manufacturé du savon et de la télévision, d'où la création du mot «TV soap».

Les médias spécialisés, dont le cérébral magazine Atlantic Monthly, se posent maintenant la question: est-ce la fin de ce vieillot genre télévisuel? Y a-t-il encore de l'espoir pour des histoires hallucinées de comateux qui ressuscitent dans le corps d'une femme après 27 ans de silence?

Chose certaine, la nouvelle génération ne se pâme plus sur les stars de General Hospital et préfère les docu-»soaps» comme The Hills, des hybrides de téléréalité et de séries pour ados tournées à la manière d'un film hollywoodien. Les plus jeunes téléspectateurs suivent désormais de «vraies» chicanes en direct sur Twitter et vivent la trahison au quotidien par leur page Facebook: quoi, tu es encore ami avec mon ex? Pourquoi s'embarrasser de suivre un soap, alors?

Les téléromans d'après-midi ont longtemps comblé ce besoin de quotidienneté, de potinage et de familiarité. À force de laisser entrer autant de monde dans notre salon, on finit par devenir intimes. Préadolescent, j'ai dévoré Days of Our Lives pendant deux ou trois étés. Pas parce que c'était particulièrement bon ou captivant, mais parce que et je voulais savoir ce qui se tramait entre Bo et Hope, bon.

Aujourd'hui, les téléphages se gavent autant d'adultères, de prises de bec ou de couteaux plantés dans le dos, mais en se branchant sur des téléréalités. Pensez-y: Occupation double, c'est un gros soap un peu traficoté avec de belles têtes qui évoluent dans des décors semi-somptueux. Même chose pour Loft Story. Tous les jours, on y distille les mêmes intrigues, à la même heure, et on peut en rater deux ou trois tranches sans perdre le fil conducteur.

Si le soap s'étiole aux États-Unis, il cartonne toujours dans les pays hispanophones sous l'appelation telenovela. À TVA, qui diffuse deux heures de feuilletons-savons par jour depuis plusieurs années, la popularité des Feux de l'amour à 15h et de Top Modèles à 16h ne fléchit pas. Pendant la saison 2009-2010, en moyenne, Les feux de l'amour (la version française de The Young and the Restless) a captivé 298 000 mordus et Top Modèles (version traduite de The Bold and the Beautiful) a rivé 401 000 accros à leur téléviseur jour après après jour.

Sachez que Top Modèles et Les feux de l'amour arrachent des parts de marché tournant autour de 28%, ce qui signifie qu'environ un Québécois francophone sur trois qui allume son poste entre 15h et 17h regarde un soap à TVA.

«Il n'y a aucune baisse d'intérêt», assure la porte-parole du réseau, Nicole Tardif. De la dévotion totale. Exemple? À la fin des années 90, l'ordre de diffusion de deux épisodes de Top Modèles a été inversé. On s'entend, ce n'est pas la fin du monde ici. Quoique... «La centrale téléphonique a été inondée d'appels comme jamais», se souvient Nicole Tardif.

L'histoire ne dit malheureusement pas si le technicien fautif s'est fait passer un savon (bon petit gag prévisible ici).

Je lévite

Avec Les chefs à Radio-Canada. Mea-culpa: les premiers épisodes de cette téléréalité culinaire m'ont laissé froid comme une pièce de viande crue. Vrai. Mais force est d'admettre plusieurs correctifs ont été apportés - notamment en mettant l'accent sur l'action aux chaudrons et non sur les reportages barbants - et que l'émission a trouvé sa température de cuisson idéale.

Je l'évite

Les pubs radio de matelas. Que ce soit Matelas Bonheur ou Dormez-Vous avec Lynn Martel, c'est toujours la même rengaine ennuyante qui nous endort en un claquement de doigts. Au moins, tout n'est pas perdu.

Pour joindre notre chroniqueur: hdumas@lapresse.ca