Ça paraîtra sans doute chauvin, mais je préfère - et de beaucoup - la version originale des Invincibles à celle qu'a mitonnée la chaîne culturelle Arte pour l'Europe francophone.

Non pas que le remake français soit mauvais, raté ou atroce, au contraire. En fait, c'est une copie quasi conforme, scène par scène, épisode par épisode, de l'oeuvre de Jean-François Rivard et François Létourneau que les téléspectateurs français verront à partir du 9 mars. Changez la distribution québécoise au complet, déménagez l'action de Montréal à Strasbourg, saupoudrez quelques mots d'argot et de verlan dans les dialogues et voilà, vous obtenez Les invincibles en version hexagonale.

Pour un téléspectateur québécois, qui a déjà dévoré cette trilogie télévisuelle, l'effet de surprise n'y est évidemment plus. Cette deuxième vie des Invincibles ne s'adresse évidemment pas à nous. Car on se souvient d'à peu près toutes les intrigues, de tous les revirements et de toutes les surprises scénaristiques comme la brosse à dents Garfield, la masturbation aux élastiques, les poils pubiens dans le bain, la conquête de Steve (rebaptisé Vince en France), qui s'assomme sur la table de chevet, le slogan «couilles et solidarité», le camp scout qui dérape, le Saran Wrap sur le sofa, les somnifères dans le lait au chocolat, tout y est.

Le plus intéressant pour un téléphile d'ici, c'est de comparer et d'analyser les différences entre les deux produits. Un truc dont, hélas!, on se lasse rapidement.

Personnellement, j'ai décroché après le cinquième épisode des huit que compte la télésérie française. Entendre les quatre trentenaires dire que c'est chan-mé, que c'est che-lou, que la meuf de ton père est chaude ça ou que «à la vache, ça schlingue», c'est drôle pendant une heure, mais ça devient lassant après la sixième. Mettons que ça détonne aux côtés des «calisses» délicieusement étirés par Rémi (Rémi-Pierre Paquin).

Un élément qui a moins bien voyagé outre-Atlantique? Le couple chouchou des Invincibles, soit l'excellent Carlos et la castratrice Lyne-la-pas-fine, dont les interprètes Pierre-François Legendre et Catherine Trudeau ont été si formidables chez nous. En France, Carlos Fréchette devient Hassan LeGoulu, un Turc qui ramasse les couches souillées dans un hospice.

Lyne Boisvert se transforme en Catherine Boisvert, alias Cathy Casse-Couilles. En terme de froideur terrifiante et de manipulation psychologique tordue, jamais Cathy n'accote Lyne, dont un seul regard suffisait pour glacer le pôle Nord.

Encore plus troublant: la comédienne qui campe cette Cathy Casse-Couilles, Marie-Ève Perron, est 100 % Québécoise et son accent d'ici ressort parfois dans des scènes plus émotives.

Quant à Hassan, il ne paraît pas aussi bonasse, aussi empoté que notre Carlos. Les trois autres, soit P-A, Steve et Rémi, rebaptisés FX, Vince et Mano, ils se ressemblent autant physiquement que dans leurs comportements. FX, psychologue et chef-scout, paraît cependant un petit peu moins désagréable et détestable que son double québécois. Vince bosse comme responsable des communications au parlement européen. Vous reconnaîtrez bien son visage, car ce comédien a incarné Romain dans La galère 2, le serveur de bar qui charmait Steph avec ses petits plats. Et Mano, porteurs de gros bracelets en cuir, comme Christian Bégin, chante dans le groupe Skizomaniacs, en plus de vendre des CD dans une boutique.

Sur le plan de la forme, rien n'a été massacré non plus. Chacun des protagonistes possède son avatar en bande dessinée et Hassan/Carlos les fait vivre avec son crayon agile. Les producteurs français ont cependant mis la pédale douce sur les insertions de petits bonshommes dans le récit, ce qui n'est pas une mauvaise chose. Les entrevues de style faux documentaire ont aussi été conservées, même si moins présentes que dans la version québécoise.

Gros changement: le générique d'ouverture a été remanié complètement. Alors que la série québécoise démarrait sur un riff de guitare hyper accrocheur et ô combien reconnaissable, celle de France pétarade avec une ouverture, comment dire, plutôt tiède. Avantage Québec ici. Encore. Du côté de la réalisation, le style reste pareil: caméra nerveuse, montage serré avec beaucoup moins de longs plans séquences, une des signatures de la série québécoise. Côté musical, c'est toujours aussi agréable: on y entend même des gros tubes comme You Know I'm No Good d'Amy Winehouse et Jerk It Out de Caesars.

Les créateurs se réjouiront sans doute que leur bébé télé n'ait pas été javellisé, mutilé ou déformé pendant la traversée. C'est tant mieux pour nos amis français, qui tomberont sûrement sous le charme de cette série très originale comme des centaines de milliers de fans québécois l'ont fait avant eux.

Reste que pour nous, ce remake, c'est du déjà vu. Et c'est probablement pour ça que ça s'appelle un remake. Parce qu'on l'a déjà vu.