Adversaires de jour, mais bons amis aussitôt les derniers textes transmis, les journalistes affectés à la couverture des Sénateurs d'Ottawa avaient un petit rituel quotidien sur la route: une fois l'heure de tombée passée, ils levaient le voile sur le contenu de leurs textes afin de voir qui du Sun, du Citizen ou du Droit avait réussi à glisser un scoop dans son numéro du lendemain.

Le gagnant, si gagnant il y avait, recevait une bière en cadeau. Des fois deux. Jamais plus... ou rarement!

En 1993-1994, ou au cours de la saison écourtée en 1994-1995, je ne me souviens plus, plongé dans une longue séquence misérable, une autre, l'entraîneur-chef Rick Bowness s'était montré particulièrement sévère à l'endroit d'Alexei Yashin et d'Alexandre Daigle. Les deux jeunes qui devaient faire de ce club moribond une équipe gagnante n'en menaient pas large sur la patinoire. Leurs coéquipiers non plus. Histoire de servir un électrochoc à son club, Bowness avait décidé de rayer ses deux vedettes de la formation pour le match du lendemain.

Fidèles à leur habitude, les gars du beat, une fois l'heure de tombée passée, avaient comparé leurs manchettes du lendemain. Ils avaient tous compris ce que Bowness tramait et le retrait de Yashin et de Daigle était annoncé en grosses lettres dans les trois journaux de la capitale.

Assis avec eux, le collègue Brian Smith, de la station de télé CJOH, qui n'avait rien vu du coup que Bowness fomentait, s'est levé d'un trait pour vite appeler son pupitre et s'assurer que la nouvelle serait lancée «en primeur» au bulletin de sports de fin de soirée.

Aujourd'hui, pareil scénario serait impossible. Pas même imaginable.

Pourquoi? Parce que ce plan que les collègues d'Ottawa croyaient pouvoir cacher jusqu'au lendemain se serait propagé par l'entremise des réseaux sociaux avant même la fin de l'entraînement. Il aurait ensuite été repris en boucle par tous les réseaux d'information continue puis analysé, disséqué, louangé et/ou contesté dans les tribunes téléphoniques et par les «experts» à RDS, TSN et autres chaînes consacrées aux sports... mais surtout au hockey.

Le lendemain matin, dans le journal, cette nouvelle ne vaudrait plus qu'une brève...

Impossible hier, obsolète dès demain

Dire que le travail relié à la couverture du Canadien - c'est aussi vrai pour tous les autres sports professionnels et/ou amateurs - a changé est un euphémisme. Il n'a plus rien à voir avec ce qu'il était il y a 15, 10, voire cinq ans.

L'identité du gardien partant pour le prochain match, celle des gars rayés de la formation, voire la composition des trios sont réclamés par les amateurs alors que les entraînements et les échauffements d'avant-match ne sont pas même complétés.

Lorsque le Canadien marque ou que Carey Price se fait déjouer, les compliments, critiques et questions reliées au niveau de responsabilité des joueurs pris en défaut déferlent avant même que l'arbitre n'ait remis la rondelle en jeu. Et si les réponses ne sont pas «gazouillées» sur Twitter avant la fin de la confirmation officielle lancée par Michel Lacroix au Centre Bell, les amateurs se plaignent alors du fait que la ou les réponses se font attendre. Simonac! Il y a cinq ans à peine, ces réponses étaient offertes dans La Presse du lendemain matin...

Autres exemples de développement vertigineux de la transmission d'informations des dernières années, la LNH explique presque en temps réel les décisions controversées des arbitres et les motifs qui ont permis d'accepter ou de refuser un but.

Que dire aussi des bandes vidéo par lesquelles Brendan Shanahan justifie la sévérité ou la clémence affichée dans le cadre des suspensions qu'il impose aussitôt la diffusion de la nouvelle.

Mais ce n'est pas tout: si vous êtes vraiment bien branchés, vous pouvez même échanger des «textos» avec un responsable de la LNH, un arbitre, un joueur et même un entraîneur-chef pendant un entracte ou lors d'un point de presse.

Cette nouvelle réalité n'a pas que du bon à offrir. Que non! Même que la soif de la primeur entraîne sa part de conséquences fâcheuses et désolantes.

De fausses nouvelles lancées sur Twitter par des idiots qui usurpent l'identité de journalistes reconnus, respectés et bien branchés font souvent 10, 50, 100 fois le tour de la planète hockey avant de pouvoir être démenties.

Des rumeurs lancées par des geeks sur des sites dont la qualité laisse croire qu'ils en savent autant sur le hockey qu'en informatique polluent quotidiennement la Toile.

Ski, golf, Formule 1

Le hockey n'est pas le seul sport dont les nouvelles, résultats et rumeurs se retrouvent sur les ordis, tablettes et autres téléphones intelligents des amateurs qui veulent toujours en savoir plus et plus vite à la vitesse grand V.

La F1 vous passionne? Vous pouvez suivre en temps réel les qualifications et les courses avec les temps de passage, la durée des arrêts aux puits et toutes les informations pertinentes. Vous pouvez même suivre la voiture de votre pilote favori sur la réplique du parcours que vous propose votre écran.

Même chose en ski alpin, alors que vous pouvez suivre, presque au virage près, une descente d'Erik Guay. Et si un doute s'installe dans votre tête à savoir si le skieur québécois écrit son prénom avec un «k» comme Erik Cole ou un «c» comme Eric Lindros, s'il est né à Québec ou à Montréal, s'il a 30 ou 31 ans, ou si c'est bien à Garmish ou Val d'Isère qu'il est monté sur la plus haute marche du podium pour la première fois, une visite sur Google ou mieux encore sur son site personnel [erikguay.com] vous offrira toutes les réponses en moins de temps qu'il n'en faut pour écrire World Wide Web!

Et on n'est jamais plus loin qu'à un mot de passe du classement général de la NFL, de la NBA, du tableau des meneurs du tournoi de golf de la PGA ou d'un message de 140 caractères pour dire aux partisans du Canadien que leur équipe n'accédera pas aux séries cette année ou aux enfants que papa sera encore en retard pour souper. Il faut croire que c'est ça le progrès.

En passant, vous pouvez me retrouver sur Twitter à @Gagnonfrancois...