C'est assis dans le salon de son chic appartement que Jacques Martin a passé sa première soirée à titre d'ex-entraineur-chef du Canadien.

Des fenêtres abondantes qui ceinturent son condo, Montréal est magnifique. Les gratte-ciel illuminés du centre-ville et les lumières des rues qui s'étendent jusqu'à la ligne d'horizon scintillent à en donner le vertige. En portant attention, on peut presque déceler la présence du Centre Bell caché juste-là entre deux buildings.

N'eut été des remerciements, au sens propre et figuré, offerts par Pierre Gauthier 12 heures plus tôt, c'est derrière le banc du Canadien et non debout dans son salon que Jacques Martin se serait retrouvé sur le coup de 19 h.

Qu'à fait Jacques Martin pour profiter de son premier samedi soir de congé payé?

«J'ai regardé le match à la télé», a-t-il simplement indiqué à un proche au cours d'un bref entretien dimanche matin. Comme quoi tu peux sortir un homme du hockey, mais tu ne sortiras jamais le hockey d'un homme. Surtout si cet homme s'appelle Jacques Martin et que le hockey occupe toute sa vie... ou presque.

Pour une rare fois, c'est sous l'angle offert aux partisans que Jacques Martin a été témoin des bons, des moins bons et des mauvais moments qu'a connus son équipe. Son ancienne équipe.

C'est donc assis dans son salon et non debout derrière le banc, où il était la cible de critiques vitrioliques, que Jacques Martin a assisté à un autre effondrement du Canadien en troisième période. Une autre déroute qui s'est soldée par un revers de 5-3 aux mains des Devils du New Jersey.

Jacques Martin ne s'est pas réjoui de cet effondrement et du revers qui a suivi. Ce n'est pas son genre.



Un brin d'amertume, beaucoup de déception

Il était plutôt déçu pour les gars qui se défonçaient sous sa gouverne. Des joueurs qui, en très grande majorité, respectaient ce coach austère et le système rigide, mais efficace, qu'il imposait. Il y avait bien sûr des exceptions. Les sourires de Michael Cammalleri, Lars Eller et P.K. Subban dans le vestiaire du Tricolore, samedi matin, trahissaient un soulagement évident relié à un congédiement qu'ils attendaient, voire espéraient.

Jacques Martin était déçu aussi pour Randy Cunneyworth, qu'il a invité à Montréal afin de le préparer en vue d'une succession arrivée plus vite que les deux hommes ne l'avaient prévue.

Jacques Martin n'est pas en colère. Pas autant que son grand frère Ronald et que ses soeurs, qui aimeraient bien dire leur façon de penser à Pierre Gauthier et à quelques-uns des bourreaux des ondes qui ont eu la tête de leur petit frère.

Jacques Martin est un peu amer. C'est sûr. Surtout qu'il dirigeait une équipe dont près du tiers de la masse salariale est hypothéqué sur la liste des blessés.

Mais plus que tout, Jacques Martin est déçu.

Déçu de ne pas avoir eu la chance de compléter ce qu'il a amorcé il y a trois ans, lorsqu'il est débarqué à Montréal en sachant très bien qu'il se ferait un jour congédier.

Un jour qui s'est pointé trop tôt. Il n'a donc pas eu le temps de compléter le développement des jeunes Desharnais, Eller, Subban. Des jeunes qui ont souvent encaissé les foudres d'un coach qui, bien que sévère et parfois impatient à leur endroit, croyait pourtant en leur talent.

Attentes démesurées

Pas le temps non plus de préparer l'entrée dans la LNH des Beaulieu, Bournival, Gallagher et Tinordi qui, Jacques Martin en est convaincu, joindront le grand club dans deux ans et deviendront des éléments importants du Canadien au fil des ans.

Parce qu'il est bien meilleur pour élaborer des stratégies que pour laisser transparaître ses émotions et amadouer les critiques par le biais de points de presse animés, Jacques Martin n'a jamais été en mesure de se rapprocher des partisans. De s'offrir un capital de sympathie sans lequel il lui était impossible d'échapper au congédiement qui le guettait depuis quelques semaines, même s'il refusait d'y croire.

Malgré le raz-de-marée de critiques à son endroit, Jacques Martin était convaincu qu'il compléterait non seulement la saison, mais aussi son contrat qui prendra fin l'an prochain.

Il faut dire que les critiques ne l'atteignaient pas vraiment. Surtout les accusations frivoles colportées par des animateurs en mal de cotes d'écoute et des amateurs guidés bien plus par leur passion que par leurs connaissances profondes du sport qu'ils adorent au point de parfois en perdre la raison.

Une remarque, une seule, lancée par le propriétaire Geoff Molson qui a prétendu en début de saison que le Canadien formait un club capable de gagner la coupe Stanley, a fait tiquer Jacques Martin.

Car cette remarque, ô combien exagérée, l'obligeait à gagner malgré l'absence d'Andrei Markov, la sous-production de Scott Gomez et la fragilité d'une très jeune brigade défensive que Carey Price n'a pu sauver en début d'année.

En plaçant lui-même son équipe parmi les clubs susceptibles de soulever la Coupe Stanley alors qu'elle est, au mieux, en mesure de batailler pour une place en séries, Geoff Molson a donné un premier baiser de la mort à son coach en octobre dernier.

Il en a donné un deuxième il y a deux semaines à la réunion des gouverneurs de la LNH où il a non seulement assuré que Jacques Martin pouvait travailler en toute sécurité, mais où il a ajouté que Pierre Gauthier et même Scott Gomez comptaient parmi les solutions et non les problèmes qui minent son équipe.

Si j'étais à la place de Gauthier et de Gomez, je me préparerais à boucler mes valises tout de suite, parce qu'avec un propriétaire qui dit bleu, mais qui pense rouge, il n'est pas surprenant que le Canadien stagne dans un épais brouillard blanc.

Photo: PC

Jacques Martin est déçu de n'avoir pu compléter le développement des jeunes Desharnais, Eller, Subban, et de n'avoir pu en préparer d'autres à faire leur entrée dans la Ligue nationale.