On est mal fait, quand même.

On trouve toujours à redire à l'état de la ville. On a toujours une bonne excuse pour se désoler de ses laideurs. On se plaint constamment du manque de courage, d'originalité et d'innovation de Montréal sur le plan architectural.

Avec raison bien souvent.

Mais quand cette même ville fait preuve de courage, d'originalité et d'innovation... eh ben, on regarde ailleurs.

La preuve, elle se trouve avenue Papineau, juste à côté de l'ancienne carrière Miron, dans Saint-Michel.

Il y a dans cette partie de Montréal, depuis un an déjà, un stade de soccer au nom banal: le Stade de soccer de Montréal.

Et pourtant, ce n'est justement pas un banal « stade de soccer ». C'est l'inverse.

C'est ce que la Ville réussit à faire quand elle refuse précisément le banal. Quand elle choisit de regarder au-delà du court terme et des colonnes de chiffres. Quand elle tourne le dos au plus bas soumissionnaire, surtout, pour lui préférer le plus audacieux.

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Le concept du stade est venu à Gilles Saucier (Saucier + Perrotte) en un éclair. Il était attablé à un café bourdonnant avec son moleskine grand format le jour où il a remporté le concours d'architecture organisé par Montréal. Il a levé le crayon et, d'une ligne, il a dessiné la silhouette du mont Royal et celle de la carrière Miron.

Au milieu, il a ajouté un simple trait.

« Le site est entre les deux parcs les plus importants de Montréal, la montagne et le centre environnemental Saint-Michel. L'un est convexe, l'autre est concave. Entre les deux, il y a une strate minérale. Voilà ce que j'ai voulu révéler. »

Ainsi est né ce stade horizontal, intégré au paysage telle une strate géologique de plus. Un bâtiment tout en longueur, monumental sans être massif, qui prolonge la topographie, la carrière voisine et les collines vertes qui l'entourent.

C'est d'ailleurs la première chose qui frappe en arrivant sur le site : d'un côté le futur parc aux dimensions généreuses, et de l'autre une réflexion de ce même parc dans les vitres du stade comme s'il se poursuivait.

Quand on se trouve au pied de l'édifice, d'ailleurs, on ne voit que ça, les immenses murs de verre sur lesquels on a déposé la toiture, comme une strate décollée du sol. Un geste simple qui a accouché d'un bâtiment d'une grande simplicité.

Et que dire de l'intérieur, sinon qu'on aimerait bien assister aux entraînements de ses enfants ici !

Tout est lumineux. La vue plongeante sur la carrière est saisissante. Même chose pour la toiture, faite d'énormes poutres de bois qui se rejoignent dans un heureux désordre.

Au loin, à travers la vitre, on aperçoit le terrain de soccer extérieur, prolongement tout naturel du stade et de son toit recouvert de zinc, ainsi qu'une multitude de jeunes joueurs de toutes les origines qui ont manifestement pris possession des lieux.

« Les stades sont les nouveaux lieux culturels de rassemblement, me lance Gilles Saucier. C'est ce que nous avons voulu faire ici. »

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Ce projet, on en a peu parlé à Montréal depuis son ouverture. Et pourtant, il fait fureur à l'étranger.

Pas plus tard que le mois dernier, il a ajouté un prix de plus à tous ceux qu'il collectionnait déjà, qu'ils aient été remis par le World Architecture News (WAN Awards), le Conseil canadien du bois (Wood Design Awards) ou l'Architect Magazine (P/A Awards).

« J'ai été invité à donner des conférences partout pour parler du projet, à Bucarest, à Cornell, dans la région parisienne. Je ne compte plus les articles publiés, les photos ont circulé partout... sauf à Montréal », se désole Gilles Saucier, faisant écho à des propos tenus dans Le Devoir.

Ce silence est troublant, mais il n'est pas tout à fait surprenant. L'architecture n'a jamais eu droit à une grande couverture au Québec. Et les médias francophones, soyons honnêtes, ont toujours plus de misère que leurs pendants anglophones à saluer les bons coups.

On a donc dénoncé la hausse du budget (annoncé à 28 millions, établi à 34 millions lors du processus de design intégré, et fixé à 38 millions en raison d'imprévus techniques et de l'ajout du terrain de soccer extérieur), mais on s'est fait tout petit, tout petit le jour de l'inauguration.

C'est malheureux, car non seulement le Stade de soccer est une réussite architecturale, c'est aussi un projet de « chez nous », qui s'appuie sur des matériaux de « chez nous », qui met en valeur l'expertise de « chez nous ».

« C'est un geste architectural, mais c'est aussi un geste culturel », précise Gilles Saucier, non sans fierté.

C'est en effet notre culture nordique qui s'exprime dans le choix du bois des forêts de Chibougamau. C'est notre expertise qui s'illustre avec les prouesses techniques des firmes NCK et Nordic qui ont réalisé une toiture de mégapoutres unique au monde. Et c'est Montréal qui s'affirme grâce à ce bâtiment vert (LEED Or) qui s'intègre si bien au futur parc du Complexe environnemental de Saint-Michel.

Le Stade de soccer s'ajoute donc clairement à la liste des bâtiments qui se distinguent dans la métropole. Mais on l'ignore, on regarde ailleurs. « On » incluant la personne qui écrit.