« Je souhaite que les gens retiennent que j'aurai été un maire qui a aimé sa ville. »

Il y avait quelque chose de prémonitoire dans la question posée à Jean-Paul L'Allier il y a 10 ans. Le maire de Québec s'apprêtait à quitter l'hôtel de ville après quatre mandats, et le journal Les Affaires voulait savoir comment il espérait que les gens se souviennent de lui... dans 10 ans.

Aujourd'hui, donc.

Fidèle à lui-même, ce grand humaniste ne s'est pas pété les bretelles. Il n'a pas dressé une longue liste de ses réussites, pourtant nombreuses. Il a rappelé son amour pour la ville. Un amour contagieux qu'il a su insuffler à la capitale, de loin sa plus grande réalisation.

Oui, la place Saint-Roch. Oui, la fusion municipale de Québec. Oui, les instances démocratiques. Oui, la colline Parlementaire, la promenade Samuel-de-Champlain, le boulevard Charest, la rivière Saint-Charles.

Ce sont des réalisations à faire rougir n'importe quel maire. Mais ce sont des moyens, non pas une fin.

Le véritable legs de Jean-Paul L'Allier, ce n'est pas l'accumulation de ces superbes projets, c'est ce qui en a résulté : une fierté retrouvée pour « sa ville », une fierté qui lui aura survécu.

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J'habitais Québec dans les premières années de L'Allier à la mairie. Je me souviens d'une capitale morne, qui peinait à s'affirmer autrement qu'en carte postale et en clichés touristiques. Puis je suis retourné y vivre au tournant des années 2000.

Déjà, ce n'était plus la même ville.

Jean-Paul L'Allier, le plus européen des maires nord-américains, avait opté pour de grands projets urbains, pour une vision élargie du territoire, pour un plan à long terme misant sur l'architecture, la culture, la qualité de vie, la beauté et l'urbanisme de qualité.

Précisément ce sur quoi misaient les grandes villes de France à la même époque. Des villes qui l'ont inspiré, justement, selon l'architecte de Québec Pierre Thibault. « Je me souviens d'une discussion à l'aéroport, en attendant nos bagages. Il m'avait dit à quel point il était impressionné par ce qu'avaient réussi à faire Lyon et Bordeaux. Il savait qu'on transformait des villes sur le long terme, en misant sur un aménagement urbain de qualité, en redonnant aux citoyens le goût de déambuler dans les rues, le goût de la ville, en fait. »

C'est ce qu'il a fait en prévoyant une magnifique promenade de bois sur le bord du fleuve. En redonnant du lustre à la colline Parlementaire. En revitalisant les berges de la rivière Saint-Charles et tout le secteur qui l'entoure.

Autant de projets qui, selon ses mots, lui ont permis de transformer la « vieille capitale » en « capitale nouvelle ».

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Bien sûr, il ne suffit pas d'aimer sa ville pour la transformer. Mais il faut suffisamment l'aimer pour affronter l'adversité, pour avoir le courage d'aller au bout de ses vues, même quand elles déplaisent, en gardant le résultat final en tête.

Et du courage, Jean-Paul L'Allier en avait autant que de la vision. « Quand un pilote d'avion s'en va à Paris, il lui faut un plan de vol, avait-il noté au micro de Michel Lacombe. Et quand il y a des turbulences, il garde les deux mains sur le volant et passe au travers, car il sait où il s'en va. »

C'est cette détermination qui lui a permis de faire de grandes choses à titre de maire, pas juste de faire des choses.

Le meilleur exemple est la transformation d'un terrain vague du centre-ville en jardin urbain, l'étincelle à l'origine de la métamorphose du quartier Saint-Roch.

Un projet tout sauf électoraliste, qui ne rapportait pas une cenne de taxes, qui remplaçait un centre commercial potentiel. Un projet, du coup, qu'il a dû pousser contre vents et marées.

Chose quasi impensable aujourd'hui, j'imagine, en cette ère de sondages quotidiens, de « court-termisme », de levée de boucliers sur Twitter et de diktat du plus bas soumissionnaire.

D'ailleurs, hier, il était frappant de constater que tous les élus saluaient le grand homme qu'était Jean-Paul L'Allier, ils louaient ce maire sensible à la beauté et à la qualité de l'urbanité... même s'ils sont très, très rares à s'en inspirer.

L'ancien maire n'a peut-être pas tout réussi. Il n'a pas implanté le tramway, comme il l'aurait voulu. Il n'a pas pu construire son monumental escalier sous l'autoroute Dufferin. Et il a laissé un bilan financier mitigé.

Mais au-delà des nombreuses réussites et des rares échecs de cet homme d'exception, une chose demeure : par ses gestes, ses convictions et sa vision, il a su redonner aux gens de Québec des raisons d'aimer Québec... comme lui-même aimait Québec.