Les conservateurs qui volent au secours de l'environnement, la main sur le coeur, à la veille des élections...

En soi, c'est assez pour transformer le plus candide des électeurs en cynique fini.

Mais ce n'est même pas ce qu'il y a de plus grave dans la décision d'Ottawa de suspendre le déversement dans le fleuve, à Montréal. Le plus grave, c'est de voir les ministres s'ériger en contre-pouvoir...

Plus cynique que ça, tu pleures.

Les conservateurs ont passé les neuf dernières années à éradiquer grand nombre des instruments gouvernementaux qui servaient à surveiller, évaluer, vérifier, éclairer la prise de décision. Ils ont bâillonné les scientifiques. Ils ont fermé certains de leurs labos et bibliothèques. Ils ont supprimé plusieurs de leurs fonds de recherche.

Et soudainement, après une centaine de mois de « guerre contre la science », pour reprendre le titre de l'essai de Chris Turner, ils se désolent de l'absence d'« études » et de « données ». Ils exigent un « examen indépendant ». Ils se font défenseurs de la « science »...

Pincez-moi quelqu'un.

Font-ils ça « parce que Montréal ne vote pas pour les conservateurs », comme le suggère Denis Coderre ? Oui et non. Ils n'agissent pas ainsi parce qu'ils n'ont rien à gagner dans la métropole... mais parce qu'ils ont tout à gagner, justement.

Rien de plus facile que de surfer sur cette vague de mécontentement. Et au diable les contradictions et le fait que Montréal n'a pas le choix de déverser.

Le comble, c'est entendre ce gouvernement se porter à la défense d'« une des voies navigables les plus importantes du Canada », un cours d'eau qui sert d'habitat à « plusieurs espèces de baleines et de poissons ».

C'est le même gouvernement qui a coupé les vivres au programme scientifique sur les lacs expérimentaux qui a mené à la fin des rejets de phosphates industriels !

C'est le même gouvernement qui a fait tomber son couperet idéologique sur tant de lois environnementales qu'on peine à en tenir le compte (lois sur la protection de la navigation, les espèces en péril, les pêches, l'évaluation environnementale, etc.) !

Et aujourd'hui, après avoir éliminé ces instruments de pouvoir et de contre-pouvoir censés limiter l'absolutisme du gouvernement, ce même gouvernement profite de l'Halloween pour se déguiser en... contre-pouvoir.

La seule bonne chose qui découle de ce geste désespéré à la veille des élections, c'est qu'il permet de rappeler tout ça. À la veille des élections.

Le lobbyiste du patrimoine

Héritage Montréal a beau avoir eu 40 ans, hier, son anniversaire est passé sous le radar. Mais ce n'est pas surprenant, la plupart des choses que fait cet organisme passent sous le radar. Volontairement.

On entend parfois parler de ce groupe fondé par Phyllis Lambert et tenu à bout de bras par Dinu Bumbaru, lors des grands combats pour le patrimoine, comme pour le square Viger. Mais le gros de son travail, il se fait discrètement, loin des regards, ce qui lui assure une grande efficacité.

Héritage Montréal est en quelque sorte le « lobbyiste du patrimoine ». Il travaille en coulisse, il sensibilise, il éduque, il influence surtout, sans qu'on s'en rende toujours compte.

Prenez cette lettre envoyée en toute discrétion aux chefs de partis fédéraux ces derniers jours. Héritage demande une série d'engagements, notamment le classement d'Habitat 67 comme lieu historique national.

Ça semble banal. Mais c'est justement ce qui a permis le classement au provincial de ce bâtiment, l'un des plus exceptionnels de Montréal. Une simple demande déposée en 2002 par Héritage. Un suivi. Des rencontres. La citation par Montréal. Puis la décision du gouvernement de classer Habitat 67 à titre de monument historique en 2009.

Dossier réglé. Grâce à un intense travail de terrain. Sans déchirage de chemise.

Contrairement à Sauvons Montréal, qui était plus militant, Héritage Montréal travaille sur le long terme. Il joue parfois les pompiers, comme il l'a fait pour sauver le quartier Milton Parc (1977) ou l'avenue McGill College (1984). Mais plus souvent, il donne dans le service de prévention.

C'est ainsi qu'il a participé à la sauvegarde du Vieux-Port, en misant sur la planification en amont. C'est ce qui lui a permis de sauver la « pinte de lait », ce château d'eau qui rouillait dans l'indifférence. C'est ce qui a mené au classement du mont Royal en 2005, après une action persévérante sur 20 ans.

Aujourd'hui, la sensibilité des Montréalais et des élus est plus grande que jamais. La réglementation est plus solide. La consultation est (presque) acquise. Oui, il y a des dossiers douteux, comme la Redpath et la Maison Alcan, mais on est loin des destructions spontanées, comme celle de la Maison Van Horne en 1973.

Le défi aujourd'hui, selon Dinu Bumbaru, c'est un peu celui que partagent toutes les grandes causes des années 60 et 70 : ne pas oublier les combats du passé ni les progrès qu'ils ont inspirés. Ne pas oublier les 30 000 démolitions sous le maire Drapeau. Ne pas oublier le passé, en fait, pour mieux le préserver.