Le déversement d'eaux contaminées dans le fleuve suscite la colère dans les chaumières. Avec raison. Mais ce qui me met en colère, moi, ce n'est pas tant le déversement que le fait accompli devant lequel nous a tous placés la Ville.

Comme si elle nous mettait brusquement le nez dans notre caca.

Ça fait longtemps qu'on travaille sur l'abaissement de l'autoroute Bonaventure. Ça fait des années qu'on sait qu'on devra déplacer une chute à neige. Et ça fait au moins 12 mois qu'on prévoit purger les égouts.

C'est délicat, oui. Mais pour une administration qui voit venir et qui a le sens des responsabilités, ce n'est pas un enjeu très, très compliqué.

On dresse à l'avance une liste des options, on chiffre, on fait une étude coût-bénéfice, et on choisit la solution la moins dommageable, en trouvant le juste équilibre entre économie et environnement.

On envoie des demandes à Québec et à Ottawa, puis on convoque les journalistes, on leur présente le problème, les options, les coûts, la décision. Merci, bonsoir. Vous pouvez tirer la chasse d'eau sans y penser...

Mais non ! Trop simple. Trop transparent.

La Ville a plutôt choisi de s'inspirer de ce qui s'était fait en 2003 et en 2007, d'agir en catimini et d'avertir une poignée de surfeurs pour se donner bonne conscience. Un peu comme si elle avait demandé à un fonctionnaire d'ouvrir discrètement les valves pendant que le maire était occupé à nous faire visiter le terrain du futur stade à côté...

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Mardi, c'est Ottawa qui s'est braqué. Et avant lui, c'était les maires des villes voisines, les écolos, l'opposition. Sans qu'il soit toujours possible de distinguer les hauts cris de la récupération politique.

Trois-Rivières se plaint du déversement, vraiment ? Alors qu'elle ne puise pas une goutte de son eau potable dans le fleuve, mais bien dans la rivière Saint-Maurice.

Les conservateurs se portent à la défense du Saint-Laurent ? En pleine élection ? Sans rire ? Alors qu'ils ont passé les 10 dernières années à bousiller, éroder, miner toutes les lois environnementales qu'ils ont pu, dont celle, eh oui, qui vise à protéger les eaux navigables.

Pas sérieux. Mais pas étonnant non plus. La Ville a couru après en gérant cet enjeu comme si on était encore en 1980.

Elle s'est bien gardée d'avertir le grand public. Puis quand la nouvelle est sortie par la bande, in extremis, le maire a fait mine d'ordonner un « moratoire » pour bien analyser la chose. Il a fermé les écoutilles de la Ville pour que la « réflexion » se fasse entre initiés. Puis en moins de deux, il a donné son feu vert !

Bien chanceux d'avoir besoin d'à peine 48 heures pour régler une telle question ! C'est loin d'être le cas de l'écrasante majorité de la population, des journalistes, des élus et de tous ceux qui se sentent concernés par la santé du fleuve.

Si bien que 10 jours avant qu'on ouvre les vannes, on est tous là à googler « traitement eaux usées », à comparer le discours des experts, à chercher frénétiquement des solutions alternatives. À faire, finalement, ce qu'aurait dû faire la Ville l'an dernier.

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La question, maintenant, c'est : y a-t-il d'autres options possibles... à 10 jours de ce déversement ? Car la purge, c'est à la mi-octobre qu'elle doit avoir lieu, alors que la période de frai des poissons est terminée et que la température de l'eau est suffisamment basse pour contenir la prolifération de bactéries.

Donc on fait quoi, là, là ?

On oublie les unités d'épuration mobiles, qui pourraient accueillir les eaux usées d'une ville grosse comme Verchères, mettons. On oublie les vraquiers, qu'on devrait réquisitionner à la quarantaine. On oublie la construction d'un conduit auxiliaire, qui coûterait 1 milliard.

On oublie donc les solutions à grande échelle, jusqu'à preuve du contraire, et on relativise l'impact du déversement autant que possible. Ce n'est pas une bonne chose, c'est sûr, mais « il y aura une très forte dilution », assure Émilien Pelletier, expert en océanographie chimique à l'Université du Québec à Rimouski. Pas le fun pour les villes voisines, mais leurs prises d'eau ne seront pas touchées, affirme Michèle Prévost, titulaire de la Chaire en eau potable de Polytechnique.

Des propos qu'on garde en tête, tout en se bouchant le nez.