Ça touche l'école Saint-Gérard, mais ça pourrait être n'importe quelle école. Ça se passe dans Villeray, mais ça pourrait être n'importe quel quartier.

La saga entourant la reconstruction sans cesse reportée de cet établissement primaire fermé pour cause de moisissures en 2012 est, sans jeu de mots, un cas d'école.

Il y a la multiplication des retards, comme seul le Québec semble capable d'en accumuler.

Il y a la chicane entre la CSDM et le gouvernement, qui pénalise encore une fois les parents et les élèves. Peu importe le fautif.

Et il y a le peu de considération du ministère de l'Éducation pour l'architecture de qualité. Son manque d'intérêt pour l'aménagement des locaux destinés aux élèves. Son indifférence pour le lieu dans lequel évoluent les enfants à longueur de journée.

Comme si l'environnement d'apprentissage n'avait aucun impact sur l'apprentissage...

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Le budget le plus récent prévu par le gouvernement pour l'école Saint-Gérard est de 18,7 millions. Un budget appréciable, mais qui n'est pas suffisant à la lumière des plans et devis, complétés cette année.

Car FSA architecture, voyez-vous, ne s'est pas contentée de dessiner une autre boîte à sardines. Honte à cette firme, elle a plutôt conçu un projet contemporain. Qui cadre avec les demandes patrimoniales de l'arrondissement. Qui s'aligne avec les cibles de gaz à effet de serre du gouvernement. Qui mise sur l'efficacité énergétique visée par Québec. Et surtout, surtout, qui respecte les futurs occupants du bâtiment maintenant prévu pour 2017.

Facture révisée : 21,8 millions.

Inflexible, le ministère de l'Éducation a dit : pas question, un budget c'est un budget, retournez à votre planche à dessin et coupez.

Du coup, la CSDM a dû mettre une croix sur le toit vert. Supprimer l'ascenseur. Réduire la fenestration. Éliminer l'atrium central. Diminuer la superficie des classes. Abandonner la géothermie. Et remplacer l'éclairage DEL par des néons blafards.

La commission scolaire a fait tout cela à contrecoeur, donc, parce qu'il fallait couper 3 millions. C'est beaucoup, 3 millions, oui. Mais en même temps, c'est peu si on prend en considération le budget global du projet comme on le fait pour tous les projets publics en France et au Royaume-Uni : en considérant à la fois les coûts de construction ET les frais de fonctionnement à long terme.

« Avant les années 50 au Québec, on acceptait d'investir plus dans la construction en sachant que cela allait réduire les coûts d'opération, note François Dufaux, professeur adjoint à l'École d'architecture de l'Université Laval. Aujourd'hui, malheureusement, on fait l'inverse. »

« Pourtant, dans le cas de Saint-Gérard, les éléments qu'on coupe, comme les DEL et la géothermie, auraient très bien pu se payer d'eux-mêmes en à peine 10 ou 15 ans. Tout ça n'est donc pas de la rigueur budgétaire, c'est du théâtre... »

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Doit-on s'en étonner ? Le gouvernement a érigé le resserrement des finances publiques en obsession, mur à mur, si bien que tout dollar qui retrousse doit être aveuglément coupé. Comme si l'argent était la seule variable qui vaille. Comme si la plus basse facture constituait une vision, un idéal en soi.

Mais on parle, ici, d'une école qui sera debout pendant au moins 80 ans. Une école qui abritera des professeurs, un service de garde, des activités de soir, des camps d'été et plus de 600 élèves qui y passeront le plus clair de leurs journées, année après année.

Et on sacrifie leur milieu de vie pour un respect éphémère des budgets. On fait fi de la qualité de l'aménagement des lieux pour une réduction ponctuelle des coûts. On choisit le court terme, bref, en pensant à courte vue.

Vous savez ce que conclut la plus récente étude sur l'architecture scolaire, d'ailleurs ? Que le rendement scolaire des élèves augmente dans les écoles lumineuses, spacieuses, aérées et dotées de carrefours d'échange... Précisément ce qu'on abandonne à l'école Saint-Gérard !

Comprenez-moi bien, je ne suis pas contre la rigueur budgétaire. Je la trouve même justifiée à bien des endroits où il y a du gras à couper. Mais je sourcille quand on s'attaque à l'éducation, et je grogne quand on élimine ce qui peut transformer une école banale en école remarquable jusqu'en 2100...

« Il y a un proverbe au Danemark selon lequel le premier professeur de l'enfant, c'est le parent. Le deuxième, l'enseignant. Et le troisième, l'environnement, raconte François Dufaux. Or regardez toutes les réformes scolaires depuis les années 60 : aucune ne fait le lien entre l'apprentissage et le lieu où il se fait. »

« Au Québec, malheureusement, l'environnement est l'angle mort du système d'éducation. »