Non. Non. Non...

Dites-moi qu'on ne replonge pas dans les débats éthiques. Qu'on n'est pas forcés de décortiquer à nouveau les documents de la Ville pour s'assurer de l'intégrité de chaque virgule.

Non. Non. Non...

On était si bien, quasiment apaisés. Denis Coderre avait réussi à diriger la ville sans reproche éthique jusqu'ici. Malgré tout ce qui avait été dit sur lui et son équipe avant les élections.

Rien n'avait retroussé. Pendant 20 longs mois.

Puis paf, cette lubie de l'autopartage électrique. Qui retrousse de partout.

***

Pas compliqué, plus on avance dans ce dossier, plus on s'y perd en questions et en interrogations. À commencer par la plus fondamentale: pourquoi?

Pourquoi la Ville tient-elle à imposer un service électrique d'ici cinq ans... alors qu'il aurait été si simple d'inciter les entreprises déjà implantées à s'électrifier graduellement? Pourquoi cette aventure administrative compliquée, avec les écueils qu'on imagine, alors qu'on aurait pu demander à Auto-mobile et car2go de prendre le virage électrique dès l'an prochain?

La québécoise Auto-mobile possède déjà 50 autos électriques. Quant au géant car2go, il compte des parcs automobiles 100% électriques dans quatre villes. Y avait qu'à lever la main pour que Montréal soit la prochaine.

Je ne comprends pas. Le maire Coderre a commencé par s'opposer à ces soi-disant concurrents du taxi. Il leur a mis des bâtons dans les roues, leur a imposé un moratoire, les a empêchés de croître. Puis maintenant, il aime tellement l'idée qu'il lance un appel d'intérêt international pour... pour quoi, déjà?

Pour «demander à des compagnies internationales intéressées à faire affaire à Montréal de venir ici», a expliqué le responsable du dossier, Aref Salem, lundi.

Hein? Car2go n'est pas assez «internationale» ? Et ce n'est pas assez que la pionnière Communauto, qui gère Auto-mobile, ait une réputation internationale?

Je. Ne. Comprends. Pas.

On ignore ce qui s'est fait jusqu'ici, on recommence à zéro, on ferme les portes à l'allemande car2go et on les ouvre toutes grandes à qui, au juste? Vous dites que ce n'est pas à Bolloré?

***

Est-ce que je suis paranoïaque? Peut-être que je le suis. En tout cas, le maire pense que je le suis.

«Il y en a qui paranoïent et qui voient des scénarios de deal, a-t-il dit il y a quelques semaines. Il n'y en a pas, de deal.»

OK. Pas de deal. Mais dans ce cas, pourquoi toutes ces coïncidences depuis la rencontre (jamais inscrite au Registre des lobbyistes) avec Bolloré?

Pourquoi le maire Coderre, qui voulait «oublier» jusqu'à l'idée même de l'auto en libre-service lorsqu'il était candidat, a-t-il soudainement changé son fusil d'épaule?

Pourquoi vouloir implanter un service similaire à l'Autolib' de Paris... après avoir rencontré son propriétaire?

Pourquoi un appel d'intérêt international... après avoir socialisé avec un patron à l'international?

Et pourquoi imposer une autonomie de 150 kilomètres après s'être fait vanter les mérites de la Bluecar de Bolloré, dont l'autonomie en «cycle extra-urbain» est précisément de... 150 km?

***

Je suis une âme charitable. Je suis prêt à croire qu'il n'y a pas de grand complot. Prêt à croire qu'il n'y a pas de deal avec Bolloré. Qu'on ne se dirige pas vers un monopole français.

Mais peut-on au moins avouer, dans ce cas, qu'il y a un maire qui aime beaucoup, beaucoup le modèle Bolloré depuis sa rencontre avec Bolloré?

Imaginez. L'entreprise française a déposé un mémoire devant la Commission des transports de Montréal, l'automne dernier, dans le cadre des consultations sur les véhicules en libre-service. Une fois les travaux terminés, les élus ont pondu un beau rapport contenant huit recommandations.

Or, pas une ligne sur Bolloré. Pas un mot sur Autolib'. Rien sur l'idée d'offrir l'exclusivité des vignettes de stationnement à toute entreprise qui offre tel type de véhicule, avec tel moteur, tel nombre de places... reléguant du coup les autres acteurs à l'oubli.

Et c'est pourtant ce sur quoi planche la Ville. En lançant un appel d'intérêt douteux. Avec des critères qui n'en sont pas, a-t-on dit lundi. Et des exigences qui seront forcément désuètes une fois appliquées.

Plutôt, les commissaires recommandaient que la Ville «encourage» les entreprises exploitantes actuelles «à étendre leur service sur l'ensemble du territoire». Ils proposaient l'adoption de «mesures pour aider à l'électrification des véhicules», comme une tarification distincte pour les voitures propres.

Voilà qui aurait été infiniment plus simple. Voilà qui nous aurait permis de gagner du temps et de l'argent. Voilà qui nous aurait surtout évité de retomber dans les questionnements éthiques dont on se serait bien passés.

Lubies et lobbies forment décidément un cocktail explosif.