Je ne voudrais pas être commerçant à Montréal...

En fait, je ne voudrais pas être un petit commerçant à Montréal. Un commerçant qui prend des risques avec son argent, qui veut participer à l'animation de la ville, qui ne regarde pas à la dépense pour embellir sa devanture.

Bref, je ne voudrais pas être un petit commerçant qui a de l'initiative, tout simplement parce que je passerais mon temps à me battre contre la bureaucratie toute-puissante de Montréal, qui semble avoir comme objectif d'enterrer les gens d'affaires sous la paperasse, les règlements et les frais de toute sorte. Histoire que rien ne retrousse, nulle part, jamais.

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Richard Holder est un des célèbres frères Holder, cette famille enracinée à Montréal depuis le Business, qui a animé le nightlife dans les années 80. Elle possède le café du Nouveau Monde, la brasserie Holder, le Majestique, etc.

Richard Holder est donc le genre d'entrepreneur dont rêve une ville : présent, fidèle, à l'affût des tendances.

Et pourtant, cette même ville vient de gâcher son été. Pour une erreur qu'elle a commise !

Tout commence en 2010, rue Saint-Viateur. Richard Holder ouvre le bar Waverly au coin de Saint-Laurent. Il demande la permission d'installer une terrasse sur la chaussée à l'arrondissement.

Pas possible, répond le Plateau, cet espace est nécessaire aux camions qui tournent. Installez plutôt une terrasse linéaire sur le trottoir.

Bon. Ça ne fait pas son bonheur, mais Richard Holder s'exécute. Il paye pour la demande de permis (700 $), le permis (1000 $) et la terrasse (6000 $).

Tout est beau de 2011 à 2014. Puis boum. Il reçoit une lettre le 17 mars dernier : votre terrasse n'est pas conforme aux règles d'accessibilité universelle, vous devez la démanteler. Point.

Frustrant. Il perd son investissement. Et encore plus frustrant, le Plateau l'invite à faire une demande de permis... pour une terrasse sur la chaussée ! Et à payer à nouveau pour une analyse de demande de permis !

Car finalement, l'arrondissement s'était trompé : il y a assez d'espace dans la rue.

« Je n'ai pas de dédommagement pour la perte, OK. Mais qu'on vienne me demander de payer pour l'analyse d'une demande de permis pour quelque chose que je voulais faire dès le début, c'est difficile à accepter ! Surtout que le temps que je me vire de bord et que je fasse une demande à la Régie des alcools, mon été y passe ! »

Mais pas d'exception, rétorque l'arrondissement. Il doit payer comme tout le monde.

Richard Holder est d'autant plus choqué qu'il a l'impression qu'on l'attend au détour chaque fois qu'il veut faire quelque chose de bien. Quand il a ouvert le Majestique sur Saint-Laurent, par exemple, il a voulu restaurer une vieille enseigne qui se trouve sur l'édifice : procédure super complexe, facture de plus de 2000 $ pour étudier la demande, 500 $ pour la publication dans les journaux et attente interminable pouvant aller jusqu'à 10 mois.

« Devinez ce que j'ai fait ? Rien. L'enseigne continue de se détériorer depuis. »

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C'est une histoire parmi d'autres, plus sordides. Mais je la trouve éloquente, cette anecdote du Waverly. Au même titre que la bataille (victorieuse) menée par la boulangerie De Froment et de Sève, dans Rosemont. Ou la saga de Chez Alexandre.

Voilà des commerçants de bonne foi, à qui l'on impose toujours plus de règles, de frais, de paperasse, sans jamais leur faciliter la vie. Et sans même que les raisons évoquées pour appliquer tous ces règlements tatillons soient claires.

Prenez la terrasse de Chez Alexandre, rue Peel. Elle a été démantelée sous prétexte qu'elle gênait les aveugles qui doivent se guider en longeant les façades. Soit. Mais pourquoi avoir éliminé cette magnifique terrasse présente depuis 38 ans... mais avoir laissé les autres obstacles ?

Faites le tour du bloc, vous croiserez bien des choses qui empiètent autant sur le trottoir. Des boîtes aux lettres. Des parcomètres. De gros blocs de ciment abandonnés. D'énormes conduites de Gaz Métro protégées par un bollard en métal... installées ces derniers jours.

Ajoutez que c'est plus difficile et dangereux qu'avant de circuler sur le trottoir étroit, entre le restaurant et la nouvelle terrasse située à distance de la façade. Il suffit qu'un piéton croise un serveur pour qu'il y ait risque de collision. Il suffit qu'un passant s'attarde devant le menu pour créer un bouchon. Et il suffit qu'il y ait bouchon pour que les piétons marchent dans la rue.

Mais pas d'exception, rétorque l'arrondissement de Ville-Marie. La terrasse devait être démantelée comme les autres.

Or que veulent les propriétaires du Waverly, de De Froment et de Sève et de Chez Alexandre ? Faire un peu de sous, évidemment. Mais aussi animer la ville, la dynamiser, la rendre plus attrayante. Aider Montréal à se faire belle, à développer sa personnalité.

Mais non, on refuse. Car on refuse toute exception. Pour s'assurer que Montréal rentre dans des petites cases de formulaire.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Pas moins de 38 ans après sa création, la terrasse du restaurant Chez Alexandre, rue Peel, a été démantelée sous prétexte qu’elle gênait les aveugles qui doivent se guider en longeant les façades.