Montréal, ville UNESCO de design ?

Oui. Peut-être. « Cette désignation ne fait de mal à personne », lâche l'überdesigner Philippe Starck, peu impressionné par ce titre international. Pas que la ville ne soit pas « design ». Pas qu'elle le soit particulièrement non plus.

Seulement, cette désignation dont le maire Gérald Tremblay était si fier, dont la Ville pimente tous ses documents, ne veut pas dire grand-chose. Et surtout, m'a expliqué Starck hier, elle n'a rien à voir avec ce qui distingue la métropole.

« Quand je croise des gens qui reviennent de Montréal, ils sont toujours très exaltés, enthousiasmés. Mais pas par ce qu'ils ont vu, mais par ce qu'ils ont été, par ce que la ville leur a permis d'être. Et tous rêvent d'y revenir. »

Et le design n'y est pour rien, selon Starck. C'est plutôt la simplicité « non pasteurisée de snobisme » qui démarque Montréal. Ce sont les rencontres, les échanges, la possibilité d'échanges qu'il suscite.

« Montréal est une ville en perpétuel devenir, qui a son propre rythme, assez organique, très humain, relativement lent. C'est une ville ouverte, authentique. Une ville... difficile à étiqueter, en fait. »

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Philippe Starck était à Montréal, hier, pour la première pelletée de terre de la tour résidentielle qui portera sa griffe, dans Griffintown. Le YOO. Un « village vertical » qui incite, force même la rencontre entre ses résidants grâce à de nombreuses aires communes.

Selon le communiqué de presse, YOO Montréal est « important » pour Starck parce que YOO est « très important » pour Starck et parce que Montréal est « très important » pour Starck.

Bon. C'est l'équivalent du « I LOVE THIS CITY ! » crié par toutes les vedettes rock... dans toutes les villes où elles passent.

Dubitatif, j'ai passé une bonne demi-heure avec l'homme. Un homme volubile, d'une intelligence débordante. Un homme qui est venu « quatre ou cinq fois » ici, notamment pour C2 Montréal. Un homme qui adore Habitat 67.

Un homme, surtout, qui aime véritablement Montréal pour ce qu'il est... et ce qu'il n'est pas.

« Tous ceux qui viennent ici constatent que la ville a un particularisme... mais ils sont incapables de le décrire. J'ai toujours trouvé ça intéressant. Car ce qui tue, ce qui étouffe, c'est l'étiquette. »

Rome, plus vieille ville du monde. Paris, la plus belle. New York, centre mondial des affaires. « So what ? On a tout dit, mais rien dit. Tandis qu'ici, le mal à étiqueter est garant d'une qualité, d'une modernité évidente. »

« Et c'est paradoxal. On entend peu parler d'une chose révolutionnaire à Montréal. Et pourtant, elle l'est plus que bien d'autres. Il y a ici des choses, des actes qui, discrètement, sont plus en avance que dans beaucoup de villes dans le monde. »

« Montréal est une ville où on peut avancer. Discrètement, mais sûrement. »

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C'est très précisément cette modernité tranquille qui lui fait tant aimer Griffintown, aussi. Quartier que Starck appelle simplement « Griffin ».

Le designer apprécie ces tours qui voisinent de vieilles maisons, des vestiges industriels et une écurie, ce mélange du vieux et du neuf.

« C'est ça, la vie. Notre société est autonettoyante, comme les fours. Elle efface ce qui ne mérite pas de rester. Oui, il faut conserver des bornes de l'histoire, le faire au coup par coup. Mais dans le doute, il faut toujours être du côté de la liberté et du futur. »

Et le YOO, il apporte quelque chose dans le secteur ? « Honnêtement, pas grand-chose. Il n'a pas de prétention historique, pas de prétention monumentale. Et c'est pour ça que je l'aime beaucoup. Car cette tour dessinée par les architectes de NEUF est humble. Contrairement aux bâtiments publics qui ont une obligation de démonstration, les bâtiments résidentiels ont une obligation d'humilité. Ils ne doivent porter que le bonheur des gens qui y vivent. »

Un peu comme ces « agrégats de vies » que sont les villes. « Pour moi, une ville n'est jamais un paysage, de l'architecture, des monuments. Une ville, c'est l'addition des gens qui y vivent, de l'énergie qu'ils dégagent, de leur pensée, de leur création, de leurs actes. Une ville n'est qu'un acte immatériel de civilisation. »

Oui, ajoute Starck, le design est important. Mais de là à en faire une désignation internationale qu'on distribue aux villes, comme Montréal...

« Puisque c'est fait, tant mieux. Mais ce n'est pas là que ça se passe. Ça fait 20 ans que le design est très à la mode, qu'on en parle beaucoup. Mais il faudrait qu'il soit plus intégré, aujourd'hui, comme un paramètre obligatoire. »

« Tant mieux si Montréal est une ville UNESCO, mais ça ne va pas changer la face du monde. Celle de Montréal non plus. »

Photo François Roy, La Presse

Le designer de renommée internationale Philippe Starck était à Montréal, hier, pour la première pelletée de terre du YOO, la tour résidentielle qui portera sa griffe, dans Griffintown.

Photo François Roy, La Presse

PHOTO FRANCOIS ROY, LA PRESSE --MONTREAL Le village vertical montrealais explique par Philippe Starck.Nous avons annonce, en juin dernier, quun complexe residentiel signe YOO inspire par Starck verra le jour a Montreal. Il sagit du premier projet de la marque et de son tres répute designer Philippe Starck dans la province. Sur la photo, portrait de Philippe Starck et compagnie du promoteur Maxime Lachance. --- -28 AVRIL 2015 --#748138