Comme journaliste, ce serait facile de conclure que les défenseurs du patrimoine ne sont jamais contents. On ne rencontre ces activistes de la vieille pierre que lorsqu'il y a menace ou détérioration. On leur tend notre micro seulement quand ils sont porteurs de mauvaises nouvelles.

Mais quand j'ai croisé France Vanlaethem, cette semaine, elle était tout sourire. Car le prétexte de ma rencontre avec «madame Patrimoine moderne» appelait le sourire: Montréal soigne son Mies van der Rohe.

Ça ne fait pas les manchettes. Ça n'incite personne à crier «on tue la une» debout sur un bureau. Néanmoins, la métropole protège discrètement les quelques legs de ce géant de l'architecture, l'un des trois plus importants du XXe siècle, avec Frank Lloyd Wright et Le Corbusier.

Un architecte qui nous a laissé des exemplaires singuliers de son travail. Un complexe multifonctionnel unique, dont on vient de bloquer un projet de conversion. Et une station-service sans pareille, dont on a terminé la restauration ces derniers jours.

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On parle peu du Westmount Square. On le connaît peu. On le visite encore moins. Comme si on gardait ce bijou dans son écrin, bien caché dans le fond d'un tiroir. Et pourtant, il est unique.

Ce n'est pas évident au premier coup d'oeil, car le complexe conçu en 1964 par «Mies» ressemble à d'autres qu'il a dessinés, à Chicago ou Toronto. Mais c'est une fausse impression. Car comme me l'a expliqué France Vanlaethem, le Westmount Square est le seul complexe multifonctionnel réalisé par Mies van der Rohe.

«L'ensemble est exceptionnel en ce qu'il regroupe toutes les grandes fonctions urbaines: des bureaux, de l'habitation, du commercial, du transport avec son stationnement et son accès au métro. C'est unique dans l'oeuvre de Mies!»

Et pourtant, voilà précisément ce qu'a tenté de miner le propriétaire actuel des lieux, le Groupe ELAD. Il a déposé l'hiver dernier un projet de revitalisation de 100 millions qui comprend la transformation de la tour de bureaux en... tour de condos.

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J'ai visité le Westmount Square avec France Vanlaethem, cette semaine. Déjà séduit, j'ai été conquis par les subtilités de l'ensemble.

Ainsi en est-il de l'oeuvre de Mies: on saisit tout de suite l'harmonie des lieux, sans nécessairement comprendre pourquoi. Puis les détails se révèlent.

La continuité entre l'intérieur et l'extérieur que crée la transparence du rez-de-chaussée. La noblesse des revêtements. L'absence de joints qui apporte légèreté et délicatesse. L'ouverture du complexe vers la montagne. La simplicité des lignes dessinées par celui qui répétait que «less is more».

«La force de l'ensemble est de s'insérer à merveille dans son contexte, explique France Vanlaethem. Les deux tours résidentielles sont du côté des habitations, sur De Maisonneuve. Le mail commercial donne sur Sainte-Catherine et Green. Et la tour de bureaux est sur un podium, avec une entrée monumentale sur la rue Wood.»

Autant de choses menacées par le projet de conversion, à son avis. Un projet qui obligerait à modifier les fenêtres de l'édifice de bureaux. À creuser des entrées pour les voitures de part et d'autre de l'escalier de la rue Wood. À verdir le parterre minéral typique de l'oeuvre de Mies.

«Et ajoutez à cela l'impact sur les commerces. En éliminant les bureaux, on risque d'éliminer une bonne partie de la clientèle qui fait vivre le mail commercial pendant la journée. Franchement, ce projet de conversion est d'une tristesse débilitante...»

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Le projet est peut-être triste, mais son issue ne l'est pas. Car France Vanlaethem a remis en question la pertinence patrimoniale de la conversion, en tant que présidente de l'organisme Docomomo Québec.

Elle a donc participé à la décision des autorités de Westmount de bloquer le projet du promoteur ELAD, qui a reçu une fin de non-recevoir officielle de la Ville. «Non seulement le marché du condo a ses limites, m'a indiqué le maire Peter Trent, mais il est important de préserver le caractère «centre-ville» de ce secteur. Le dossier n'est pas clos, cela dit. J'ai proposé au promoteur de mettre sur pied une table d'experts. Mais pour l'instant, c'est non.»

Une nouvelle qui réjouit France Vanlaethem, pour l'heure. D'autant qu'elle survient au moment où on achève le travail de transformation de l'unique station-service conçue par Mies en centre communautaire intergénérationnel, dont elle a aussi été partie prenante.

L'architecte a en effet dessiné en 1967 une station-service à L'Île-des-Soeurs qu'exploitait encore Esso en 2008. Un bâtiment sobre qui n'en est pas moins une icône de l'architecture moderne, avec son toit plat et ses poutrelles d'acier noires. Ce qui a incité l'arrondissement à lancer une réflexion sur son avenir dès qu'elle a su que la station allait fermer.

Une réflexion qui a mené à une restauration exemplaire par la firme d'architectes FABG, qui a connu son point final la semaine dernière avec l'installation d'un panneau d'interprétation historique devant l'édifice appelé La Station.

«Ce sont de très bonnes nouvelles! Verdun a été responsable en menant le processus de restauration de façon exemplaire. Et Westmount est tout aussi responsable en se portant à la défense de son patrimoine», conclut France Vanlaethem. Avec le sourire.