Mon club vidéo ferme ses portes. Et ça me met tout croche.

L'endroit n'a rien d'invitant. Gros néons blafards. Répétition monotone de boîtes vidéo. Bande-son agressante. Déco défraîchie. Il n'y a pas de pastilles rouge et bleu pour distinguer les Beta des VHS, mais il s'en faut de peu...

Et malgré tout, je suis tout croche. Car il y avait quelque chose de rassurant dans cet endroit qui sentait le popcorn. En fait, ce qui était rassurant, ce n'était pas ce club vidéo, mais l'existence d'un club vidéo dans mon quartier, où je croisais des voisins et des amis le vendredi après le travail.

Je suis un peu comme ça: un pied qui traîne dans le passé, sans vouloir l'avancer. La définition même d'un «vieux» pour le jeune que j'étais.

J'attends mes factures de carte de crédit par la poste. Je vais à la bibliothèque chaque semaine. J'achète des magazines au dépanneur. Je visite régulièrement ma librairie. Et je louais encore des DVD il y a quelques jours.

Or, c'est comme si la fermeture du dernier club vidéo de mon quartier signalait la fin de ces habitudes... et du coup, des interactions qu'elles ne manquaient pas de susciter avec les amis, les voisins, les inconnus.

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J'attache peut-être trop d'importance aux vestiges pas si vieux d'un passé pas si lointain, mais c'est comme si le présent me forçait à avancer en m'empêchant de regarder derrière. Donc je boque.

Prenez mon facteur, avec lequel j'échange à l'occasion. Il vient de déposer dans ma boîte aux lettres sa démission. Ou tout comme. C'est un avis de Postes Canada qui m'annonce où je devrai désormais cueillir mes enveloppes et factures de carte de crédit.

Ironiquement, cette carte de crédit me demandait au même moment de migrer sur le web dans une lettre qui réussissait à me faire sentir coupable de résister «encore et toujours» à l'envahisseur numérique.

Et comme si ce n'était pas assez, ma bonne vieille machine VHS a rendu l'âme, ces derniers jours. Ma belle-fille voulait regarder une cassette d'enfance (de la nostalgie, tiens, tiens...). Je l'ai insérée dans le lecteur. Elle n'en est jamais ressortie.

Mais bon, je ne suis pas un dinosaure. Je sais que c'est plus commode de tout régler sur internet. Je commande des films sur Netflix. Je feuillette mes magazines sur Kiosque.fr. J'achète sur Amazon. Je lis sur Kindle. Je réserve parfois mes taxis en passant par l'application Uber. Et j'emprunte des livres sur l'application de la Grande Bibliothèque.

Je fais tout ça. Mais je grogne.

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Évidemment, c'est plus facile, plus rapide par le web. Je le vois bien. Mais je note aussi que je croise moins de voisins le week-end, que j'ai moins d'échanges spontanés avec des amis, moins d'interactions avec de purs inconnus.

À Pâques, j'étais dans Charlevoix, où j'aime m'échapper. Eh bien, pour la première fois, je me suis surpris à ne pas visiter le vendeur de journaux. Plus besoin de sortir pour lire La Presse...

Or Dieu sait ce qui aurait pu jaillir de cette interaction qui n'a pas eu lieu. Une adresse de resto. Une info sur une expo. Un banal échange sur la météo.

Ces rencontres furtives, souvent sans conséquence, disparaissent donc tranquillement, mais avec elles, celles qui auraient pu être significatives. Au nom d'un progrès qui m'abandonnera sur le bord de la route si je refuse d'embarquer.

Et quand je dis progrès, je devrais utiliser des guillemets, comme me l'a rappelé Uber au début du mois. Mon compte a été mystérieusement suspendu. J'ai tenté de joindre quelqu'un. Impossible. Pas de numéro de téléphone. On ne peut qu'envoyer un courriel... si on finit par trouver l'adresse.

J'ai ainsi joué à la «tag» avec un certain «Joel Uber Support». Pendant cinq jours. À bout de patience, j'ai répondu: «Mon histoire avec Uber s'arrête ici. Adieu.»

«Joel» ne m'a jamais redonné de nouvelles. Puis, cette semaine, j'ai reçu un courriel générique me demandant... si j'étais satisfait du service reçu.

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À travers ces petits irritants du quotidien m'est revenu en tête le livre Bowling Alone, ce classique écrit par Robert Putnam il y a 15 ans. Un livre qui révélait l'affaiblissement des liens sociaux aux États-Unis à partir d'un phénomène anecdotique, mais révélateur: les Américains sont de plus en plus nombreux à jouer seuls aux quilles, le samedi soir.

Eh bien, la fermeture de mon club vidéo est un signe similaire. Il révèle lui aussi l'effritement du mortier qui lie la communauté, mais par la perte d'un pan de la vie de quartier. Après le club, ce sera? Le vendeur de magazines, la librairie, la bibliothèque?

Pour Putnam, la télévision était la responsable de l'affaiblissement de la communauté en 2000. Aujourd'hui, ce sont les écrans et leurs connexions... qui nous déconnectent.

Ce n'est pas la fin du monde, entendons-nous. Pas plus que ne l'était la disparition du laitier. N'empêche, l'effritement des rapports sociaux ne peut qu'avoir un impact sur notre bien-être. Tout comme la fermeture de mon club vidéo ne peut qu'amoindrir la vie de mon quartier.