À lire les journaux, on en vient à penser que Montréal a une tare congénitale qui l'empêche de bâtir sans dépassements de coût, de réaliser des projets dans les délais prévus ou simplement de construire beau.

Il y a assez d'histoires d'horreur pour ébranler le plus optimiste des Montréalais. Le CUSM. Le désastre financier du Train de l'Est. Le fiasco de l'îlot Voyageur. Le kilomètre manquant du métro de Laval. L'échangeur Dorval qu'on n'est pas sûr de finir à temps pour le 400e. Et le feuilleton des voitures du métro qui se prolonge. Encore.

Il y a un nombre incalculable de ratés, donc, qui minent le moral... et il y a les nouvelles bibliothèques de Montréal, belles, audacieuses, réalisées sans dépassement de coûts ni d'échéance.

Une réussite discrète, qui, à elle seule, redonne espoir en la métropole.

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En remettant ses derniers prix d'excellence, le jury de la revue Canadian Architect a noté une tendance. Quelque chose qu'elle n'avait pas décelé avant. Quelque chose qui l'a impressionné: la grande qualité des projets émanant du Québec.

La qualité, en fait, des projets issus des concours architecturaux du Québec, notamment les bibliothèques récemment conçues à Montréal.

Car loin des manchettes, disons-le, une renaissance se vit aux quatre coins de l'île, là où poussent de superbes bibliothèques modernes, plus surprenantes les unes que les autres.

Deux viennent d'ouvrir, quatre sont en chantier, et cinq autres sont prévues dans un avenir proche.

Autant de projets qui prouvent que le cheap, le laid, l'ordinaire est un choix. Pas une fatalité.

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La construction de toutes ces bibliothèques est passée inaperçue pour le plus grand nombre.

Mais l'inauguration de l'audacieuse bibliothèque Marc-Favreau n'a pas échappé aux citoyens de Rosemont. Une oeuvre de Dan Hanganu architectes faite de verre et d'aluminium, aussi étonnante que le personnage qu'elle met en vedette, Sol.

De la même manière, l'ouverture de la bibliothèque du Boisé a été remarquée par les résidants de Saint-Laurent. Un bâtiment construit en plein espace vert qui brouille les frontières entre architecture et paysage (Cardinal Hardy/Labonté Marcil/Éric Pelletier).

Et la plupart des citoyens de NDG, Lachine et Pierrefonds savent que d'audacieuses bibliothèques sont prévues ou en chantier dans leur coin, oeuvre de l'Atelier Big City pour l'une, de Chevalier Morales pour les deux autres (c'est d'ailleurs la bibliothèque de Pierrefonds qui a remporté un prix du Canadian Architect).

Autant de projets publics discrets qui forment une sorte de bulle, loin de l'austérité et de la médiocrité ambiante.

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À la base, ces constructions sont le fruit d'un énorme problème mis au jour il y a 10 ans: l'état du réseau de bibliothèques de Montréal, digne du tiers monde.

Le «diagnostic» publié en 2005 était accablant: pas assez d'installations, très peu d'abonnements, nombre de prêts famélique... «Tous les indicateurs étaient problématiques, reconnaît la directrice des bibliothèques de Montréal, Louise Guillemette-Labory. Pour avoir ne serait-ce que l'équivalent de la Ville de Québec, Montréal devait avoir 69 bibliothèques. Elle en a 45...»

La Ville a donc entrepris de rattraper le temps perdu. Elle a mis sur pied en 2008, avec l'aide de Québec, le Programme de rénovation, d'agrandissement et de construction de bibliothèques.

C'est le fruit de cet effort qu'on cueille aujourd'hui. Un effort qui a touché le nombre de livres, les heures d'ouverture, l'informatisation du système... et la qualité des nouvelles installations, toutes issues de concours architecturaux.

Des concours qui ont un coût, soit, mais minime, selon le Bureau du design: à peine 2% du budget des bibliothèques, dont le prix varie entre 15 et 25 millions.

«Au début, explique Mme Guillemette-Labory, je sentais de la timidité de la part des architectes. Je trouvais qu'ils ne faisaient pas preuve d'une grande audace. Je leur ai donc dit d'oser, d'aller voir ce qui se fait de mieux ailleurs.

«Là, clairement, le fun est en train de prendre.»

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La popularité de la Grande Bibliothèque a aussi beaucoup inspiré les architectes. Elle a démontré le magnétisme qu'exerce un environnement de qualité.

«Il y avait des doutes au départ, note Gilles Prud'homme, architecte de l'agence Hanganu pour la bibliothèque Marc-Favreau. Puis ce fut un énorme succès, ce qui est très inspirant. Tout comme ce mouvement international qui a démarré, en Amérique du Nord, avec la bibliothèque de Seattle, dessinée par Rem Koolhaas.»

On ne construit pas du beau pour construire du beau, autrement dit. Mais parce que cela attire, parce que cela crée des environnements propices à la lecture, à la flânerie, aux échanges, à l'animation, à la réflexion.

Les bibliothèques du Boisé et Marc-Favreau en témoignent: les visites sont nombreuses, les citoyens y passent des journées entières, le nombre d'abonnements est en hausse, etc.

Bref, la qualité de l'architecture se répercute directement sur leur achalandage, leur attrait, leur pertinence, même. Une qualité qui n'est donc pas caprice, mais nécessité.

Surtout dans le contexte qui est le nôtre.