Le train sur Champlain sera rentable ou ne sera pas. Même chose pour la navette vers l'aéroport, promet la Caisse de dépôt, qui cite en exemple la Canada Line de Vancouver, qui serait profitable. Notre chroniqueur François Cardinal s'est entretenu avec les deux responsables du virage de la Caisse, le responsable de la future filiale CDPQ Infra, Macky Tall, ainsi que l'ancien patron de la Canada Line, Jean-Marc Arbaud.

Jean-Marc Arbaud, vous avez présidé l'entreprise qui a conçu, construit, financé et exploité la Canada Line. Il s'agit de l'«exemple favori» de Michael Sabia. Est-il similaire à celui que vous souhaitez implanter ici, maintenant que vous travaillez pour la Caisse?

JMA: La Canada Line est un skytrain, un système léger sur rail électrique et automatisé qui part du centre-ville de Vancouver pour se rendre en banlieue et à l'aéroport. Elle compte 16 stations sur 20 kilomètres. Donc oui, en termes de taille de projet, de volume de travail, c'est un projet similaire au train de l'Ouest et au SLR vers la Rive-Sud. Mais aucun choix technologique n'a encore été fait ici.

Pourtant, c'est vous qui avez mis sur pied le Bureau de projet de l'AMT. Et ce même bureau, selon mes sources, privilégiait un train sur pilotis, comme à Vancouver...

JMA: L'important est de repartir des études d'achalandage, de valider le corridor, puis de choisir par la suite la meilleure solution technico-économique pour chacun des projets. Il y a un minimum d'études techniques à faire avant d'en arriver à ce stade-là.

Vous devez d'abord attendre le feu vert de l'Assemblée nationale. Une fois cette étape franchie, vous aurez besoin de combien de temps pour décider si vous allez de l'avant, un an?

JMA: Non, il faut aller plus vite. La première étape devrait se faire moins de six mois après les changements législatifs. On saura alors si on va de l'avant. Puis, il y aura les études techniques, les consultations, les appels d'offres. Nous sommes confiants de réaliser le projet d'ici 2020.

Est-ce que les villes traversées auront leur mot à dire?

JMA: Oui. Lors de la conception et de la réalisation de la Canada Line, j'avais des réunions mensuelles, même hebdomadaires avec les directions générales des villes et de l'aéroport. Il y a ainsi un certain nombre de choses qui ont changé en cours de route.

Vous devez jongler avec deux éléments contradictoires: la rentabilité du projet et les exigences des uns et des autres. Si Montréal veut un train en tunnel plutôt qu'un skytrain, par exemple, vous faites quoi?

JMA: On prend la décision sur la base d'une connaissance des coûts et des conséquences économiques. Ce n'est pas à nous de dire qu'on va traverser la ville en démolissant tous les bâtiments. Notre travail est de mettre sur la table, au départ, les conséquences des différents scénarios. Et peut-être qu'une de ces conséquences, pour tel scénario, c'est que le projet ne peut pas se faire parce qu'il coûte trop cher.

Selon mes informations, le Bureau de projet travaillait sur trois scénarios, dont un qui passait en tunnel sous le centre-ville. Un tracé qui était jugé trop coûteux, à 250 millions le kilomètre. Mais si la Ville insiste?

MT: Ça nous ramène au mandat de la Caisse, qui est de gérer les fonds des déposants et des Québécois de façon responsable. On doit s'assurer de ne présenter au gouvernement que des solutions dont on a la conviction qu'elles sont rentables.

D'ailleurs, Macky Tall, vous allez être responsable de la filiale CDPQ Infra. Vos projets auront-ils besoin de subventions, comme la Canada Line?

MT: Les modèles sont différents. La Canada Line est un projet PPP traditionnel qui est entièrement sur le bilan de la Colombie-Britannique. Or notre modèle ne sera pas sur le bilan du gouvernement. Si Québec participait, ce ne serait donc pas des subventions, mais des investissements qui lui permettraient d'aller chercher un retour.

Oui, mais si le projet est finalement déficitaire? Des rumeurs ont d'ailleurs couru à propos de l'absence de rentabilité de la Canada Line.

MT: Au contraire! Le modèle de la Canada Line est différent: le gouvernement touche les revenus des usagers, puis paye un montant fixe au consortium pendant 35 ans. On a basé ce modèle sur un achalandage de 100 000 personnes par jour. Or il y en a 20 000 de plus. Non seulement nos opérations sont rentables, le gouvernement a aussi eu de bonnes surprises.

Comment faire pour rentabiliser une ligne de transport en commun?

JMA: Il faut que ça coûte le moins cher possible à construire, que la technologie soit la mieux adaptée à l'achalandage, que les usagers soient satisfaits et que les coûts d'opération soient les plus bas possible. Prenez la Canada Line, elle n'est opérée que par 250 personnes [NDLR: à titre comparatif, le métro de Montréal, qui est quatre fois plus gros que la Canada Line, est opéré par 2300 personnes].

Mais plus concrètement, qu'est-ce qui permet d'atteindre la rentabilité?

JMA: La satisfaction des passagers, la fiabilité du système, le compétitivité des tarifs et la ponctualité des trains. La Canada Line a atteint tout près de 100% de fiabilité dès le début. On pensait atteindre 100 000 passagers après trois ans, ça n'a pris que six mois.

Justement, les données de la Canada Line ne sont pas toutes disponibles. Votre modèle sera-t-il aussi opaque que les PPP?

MT: Ce qui a été convenu avec le gouvernement, c'est de faire ces travaux dans la plus grande transparence. Nous n'avons rien à cacher. Nous avons d'ailleurs dévoilé l'intégralité de l'entente avec le gouvernement.

Nous voulons que les Québécois sachent combien ça va coûter et quelle rentabilité va en tirer la Caisse. Un vérificateur indépendant va d'ailleurs se pencher sur les chiffres pour rassurer les Québécois.

Cela dit, si j'étais à votre place, je prierais pour qu'il y ait un péage sur Champlain...

MT: On n'est pas là pour spéculer sur ce qui va arriver au niveau politique. C'est une donnée, mais pas la seule. Les réseaux automobile et de transport en commun sont saturés. Notre expérience montre que lorsqu'on fait un ajout de qualité dans le réseau, la demande le comble immédiatement.