Ma critique architecturale du CUSM m'a valu une quantité impressionnante de réactions. Sur les réseaux sociaux, elles ont été presque unanimement positives. Mais dans ma boîte de courriels, c'est à un véritable tsunami d'attaques que j'ai eu droit.

«Pourquoi n'êtes-vous jamais contents, vous, gens de cette génération à qui on a tout donné? On construit dans votre ville un hôpital dernier cri et tout ce que vous avez à dire: pas beau, mal situé, etc. Je suis épuisée de vous entendre, vous, à qui on a tout donné...»

Bon. Je me garderai de deviner quelle est cette génération qui m'a «tout donné». Et plutôt, je m'attarderai aux deux leçons à tirer de ces réactions polarisées.

1) Les réseaux sociaux, avec leur image faussée de la réalité, constituent de piètres baromètres de ce que pensent les lecteurs...

2) Ces mêmes lecteurs ont pour l'architecture encore moins de sensibilité que je le pensais...

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Les réactions, en gros: le soin aux patients est le seul critère sur lequel devrait être jugé le nouveau centre hospitalier. Tout le reste n'est que lubie de gauchistes déconnectés.

«C'est un hôpital! Lâchez-moi avec les oeuvres d'art et les bébelles! Ce qui est important, c'est les traitements reçus, les soins, le personnel. Point. Quand tu vas à l'hôpital, c'est pas pour faire une visite de musée.»

O.K., mettons. Mais ce n'est pas une raison pour traiter le CUSM comme un entrepôt de bord d'autoroute. Surtout pas dans un endroit aussi stratégique de la ville. Là où passent des centaines de milliers de personnes chaque jour.

Comme l'a déjà dit l'ancien président de l'Institut royal d'architecture Yves Gosselin, «si tu n'aimes pas Picasso, tu ne vas pas voir son exposition. Mais impossible d'échapper à un bâtiment. Une fois qu'il est construit, il faut vivre avec».

Le Centre universitaire de santé McGill est donc bien plus qu'une boîte dont seul le contenu importe. C'est un ajout permanent au paysage que nous partageons, un édifice public qui fait désormais partie de notre vie collective, un bâtiment qu'on lègue aux plus jeunes (et qu'ils se feront un plaisir de citer, je le prédis, pour nous juger).

Quand je regarde le CUSM, je me mets à espérer que Churchill se trompait quand il a dit que nous façonnons nos bâtiments... et que ceux-ci nous façonnent à leur tour.

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Selon bon nombre de lecteurs, il fallait, dans le contexte économique, choisir entre le beau et le fonctionnel. Donc, normal qu'on ait choisi le second.

«Permettez-moi d'être en désaccord avec votre billet: la laideur de l'édifice est un argument de bien faible poids si son intérieur et sa fonctionnalité servent au mieux les patients. Je suis pour les humains bien avant l'esthétique. Il faut faire des choix en ces temps d'austérité, celui du compromis architectural s'imposait.»

Permettez-moi d'être en désaccord à mon tour: l'architecture n'est pas un luxe qu'on s'offre quand on a de l'argent en trop.

C'est plutôt une façon d'exprimer notre fierté d'ériger ensemble un édifice public d'envergure. C'est une façon de traduire notre culture et notre identité communes. C'est un souci, fort légitime il me semble, de ne pas construire laid.

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Tous ces gens qui m'ont écrit sont insensibles à la beauté de l'architecture qu'ils croisent à l'étranger? Quand ils voient l'Opéra d'Oslo et la Philharmonie de Berlin*, ils se désolent de l'effort gaspillé dans la conception de ces oeuvres?

Non. Ils les prennent en photos. Qu'ils partagent avec leurs amis. Et ils en profitent pour se désoler de la laideur de Montréal, ajoutant avec tristesse qu'on n'a pas l'argent, ici, pour construire aussi harmonieux.

«M. Cardinal, pour qu'une construction soit belle à vos yeux, il faut qu'elle coûte cher. C'est une excuse d'architecte en manque d'imagination.»

S'il suffisait de mettre plus d'argent pour obtenir un chef-d'oeuvre, ça se saurait. Mais non, l'architecture n'a pas besoin de «coûter cher» pour plaire. Pas plus qu'elle n'a besoin d'être inusitée ou spectaculaire.

L'important, c'est que l'architecture soit valorisée dans le processus de conception, qu'elle transmette quelque chose de l'époque, de notre culture, de ce qu'on est capable de faire. Comme la Grande Bibliothèque, dont la beauté n'est pas étrangère à sa popularité. Comme le futur pont Champlain, qui a réussi à intégrer un souci architectural à un PPP sans étirer les échéanciers, sans augmenter les budgets d'un seul sou.

Je ne demande donc pas «des oeuvres d'art et des bébelles». Je ne demande pas que les projets coûtent cher. Mais je m'attends à ce qu'on prenne le temps de bien faire. Pas vous?

* À voir jusqu'à demain au Centre Phi, le documentaire Cathedrals of Culture, signé par des cinéastes comme Wim Wenders et Robert Redford, qui s'attardent à la beauté de ces édifices iconiques. Et à l'importance d'une architecture qui s'inscrit dans la mémoire collective.