Je suis un architecte raté, comme il y a des comédiens ratés et des écrivains ratés, ces gens qui rêvent d'un métier sans avoir les compétences nécessaires, encore moins le talent.

J'ai donc dit oui avec empressement quand le Regroupement des étudiants en architecture de l'Université de Montréal m'a approché, en octobre, pour qu'on organise ensemble une « charrette ».

Pour tout vous dire, je ne connaissais la chose que par l'entremise de mon coloc d'il y a 20 ans, à l'Université Laval. Comme étudiant en architecture, il participait à l'occasion à ces périodes de travail intensif qui visaient à produire des esquisses de projets reliés à une problématique et à un lieu précis. En trois jours.

J'étais fasciné. Je savais, pour avoir lu Zola, que l'expression venait de la charrette dans laquelle les étudiants en architecture des Beaux-Arts de Paris empilaient leurs travaux après une nuit de travail. Mais pas plus.

Quand mon coloc partait, j'imaginais donc d'interminables remue-méninges, des nuages de fumée de cigarette, des tables pleines de plans, des yeux pochés et des litres de cafés imbuvables.

Finalement, ça ne ressemble pas du tout à ça, ou du moins, plus du tout. Mais l'exercice n'en est pas moins intéressant que je le pensais.

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On s'est donc très vite lancé dans l'aventure. On excluant la personne qui parle. Le Regroupement des étudiants a tout organisé, ou presque. Je n'ai eu qu'à choisir les lieux d'intervention et les membres du jury*.

Tout de suite, la Sainte-Catherine s'est imposée par son importance et son actualité. Puis le DIX30 a suivi, car lui aussi aura droit à un réaménagement majeur. Deux concurrents si proches et différents à la fois...

Ce que m'a d'ailleurs vite confirmé le professeur d'urbanisme Gérard Beaudet, que j'ai choisi pour donner une conférence aux participants avant qu'ils se mettent à l'ouvrage.

Sa thèse, provocante, les a secoués:  les centres commerciaux tentent de plus en plus d'imiter les artères commerciales en se donnant des airs de centre-ville... pendant que les artères commerciales tentent d'imiter les centres commerciaux!

À ses yeux, en effet, la piétonnisation des grandes artères commerciales n'est que cela: une adaptation à la concurrence livrée par la banlieue, une reproduction du magasinage à pied qu'on retrouve dans les centres d'achats.

Le ton était donné...

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Une bonne trentaine de participants ont répondu à l'appel. Réunis au sein de huit équipes, ils ont travaillé pendant trois jours sur la Sainte-Cath et le DIX30.

Mais pas de tables pleines de plans ni de nuages de fumée: les planches et vidéos se font presque toutes, maintenant, par écrans interposés.

Puis le jury s'est réuni un froid matin de novembre pour examiner les projets, débattre.

Une première impression s'est vite dégagée: bien des idées intéressantes, originales, mais pas de coup de coeur, d'équipe qui se démarque avec une proposition exceptionnelle.

On retrouvait plusieurs points communs entre les projets. Tous misaient sur un élargissement des espaces consacrés aux piétons, tant au DIX30 que sur la Sainte-Cath. Tous se désolaient de l'expérience désagréable du consommateur. Tous proposaient un encadrement plus serré de la voiture.

Mais une seule avait véritablement compris le contexte commercial dans lequel elle s'insérait.

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La proposition gagnante semble simpliste. Elle est plutôt simple, sobre et pertinente à la fois. Précisément ce pour quoi elle a remporté le premier prix.

Le projet de l'équipe 7 s'intitule « Ste-Cat à l'année ». Un bon point en partant, car il tient compte des quatre saisons. Il ne s'appuie sur aucun geste d'éclat, un autre bon point, car la Catherine est une rue dynamique qu'il ne faut pas défigurer, plutôt corriger.

« Le concept est intéressant parce qu'il est simple et qu'il peut s'enrichir par petites touches », note Gérard Beaudet. On élargit en effet les trottoirs, on ne garde que deux voies automobiles, on accroît l'offre de stationnement dans le secteur, et on prend soin de l'artère, segment par segment, avec une programmation à l'année.

On revitalise ainsi la Sainte-Cath en prenant soin de chacune de ses composantes. On ajoute tantôt du mobilier urbain, de la végétation, des jeux d'eau, des espaces de rafraîchissement, des terrasses afin de donner envie aux gens de rester sur place.

« On pourrait vite se lasser d'un grand geste de design flamboyant, estime Michel Langevin de NIPPaysage. Là, on a un souci du détail, on aborde la matérialité, on cherche à susciter l'appropriation des lieux, on propose une cohabitation avec l'auto. »

On redonne ainsi à la Sainte-Catherine un second souffle, sans la dénaturer. Bravo.

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Les équipes avaient le choix de travailler sur Sainte-Catherine, sur le DIX30, ou sur les deux. Malheureusement, peu d'entre elles ont opté pour la banlieue, malgré l'énorme potentiel de réaménagement du centre commercial de Brossard.

Pas de grand prix, donc, pour ce secteur, mais une mention, car le projet de l'équipe 2 se démarquait par sa qualité d'exécution et l'originalité de sa proposition.

L'intention est belle: valoriser le ruisseau Daigneault et verdir une partie de la première phase du DIX30 pour intégrer ce dernier au réseau vert environnant, de Saint-Hubert à La Prairie.

« Il y a un intéressant travail d'intégration à la trame verte locale et régionale, souligne Nathalie Dion, présidente de l'Ordre des architectes du Québec. Il y a aussi un souci pour la mixité des lieux, auxquels on propose d'ajouter des espaces communautaires, par exemple. »

Un bémol, toutefois: on en perd la raison d'être du secteur, sa vocation commerciale. Un geste qui montre, hélas, peu de souci pour le contexte d'intervention.

« Les commerces de destination et de divertissement, qui sont actuellement au coeur du DIX30, sont malheureusement évacués du projet », note Jacques Nantel, des HEC.

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Dans le lot, un dernier projet s'est distingué, cette fois pour son originalité. Il s'agit de la proposition de l'équipe 5, qui souhaite piétonniser un grand pan de la Sainte-Cath pour y aménager des boutiques éphémères (pop-up).

On voit mal comment les locataires des locaux environnants accepteraient une telle concurrence à loyer modique, mais l'idée d'ajouter dans la rue des boutiques temporaires devenant laboratoires, salles de montre complémentaires à une boutique web, ou encore points de vente complémentaires aux commerces voisins méritait d'être saluée.

« En utilisant les deux parvis d'église ainsi que le square, le concept donne de l'ampleur au domaine public, qui est beaucoup plus qu'un lieu de circulation, note Gérard Beaudet. Une belle idée qui incite à la réflexion. »

Précisément l'objectif d'une charrette...

* Le jury était composé de Nathalie Dion, présidente de l'Ordre des architectes, Jacques Nantel, spécialiste du commerce au détail à HEC, Michel Langevin, associé chez NIPPaysage, Gérard Beaudet et François Cardinal.

LES TROIS PROJETS GAGNANTS

« STE-CATH À L'ANNÉE »

GRAND GAGNANT: ÉQUIPE 7

Olivia Daigneault-Deschènes, Alexandra Lavallée et Laurence Lelièvre

« Ste-Cath à l'année » ne s'appuie sur aucun geste d'éclat. Au contraire, c'est un des projets les plus dépouillés, ce qui n'est pas étranger à son grand prix. Le concept a été jugé intéressant, car il sert de canevas pour des interventions par petites touches, sensibles aux portions de la rue, avec un souci pour la qualité d'exécution. On ajoute tantôt du mobilier urbain, tantôt de la végétation ou des terrasses publiques, des interventions qui ont le potentiel d'accroître l'appropriation des lieux.

ILLUSTRATION FOURNIE PAR LES PARTICIPANTS

« ET SI... »

MENTION EXÉCUTION: ÉQUIPE 2

Audrey-Anne Belleau, Andréanne Dumont, Mathilde Laurier et Pierre-Luc Morin

« Et si... » s'est distingué par sa qualité d'exécution et l'originalité de sa proposition. On souhaite valoriser le ruisseau Daigneault et verdir une partie de la première phase du DIX30 pour intégrer ce dernier au réseau vert régional. Le jury salue la qualité de la présentation. Le projet démontre aussi un souci pour la mixité des lieux. Un bémol: on en perd la raison d'être du secteur, sa vocation commerciale. Un geste qui montre peu de souci pour le contexte d'intervention.

ILLUSTRATION FOURNIE PAR LES PARTICIPANTS

« POP-UP »

MENTION ORIGINALITÉ: ÉQUIPE 5

Samuel Paulin-Langlois, Patrick Pedneault et Philippe Tremblay

« Pop-up » s'est distingué pour son originalité et sa vidéo ludique. On propose de piétonniser un grand pan de la Sainte-Cath pour y aménager des boutiques pop-up. Le jury voit mal comment les locataires des locaux environnants accepteraient une telle concurrence à loyer modique, mais l'idée d'ajouter dans la rue des boutiques temporaires devenant laboratoires, salles de montre complémentaires à une boutique web, ou encore points de vente complémentaires aux commerces voisins méritait d'être saluée.

ILLUSTRATION FOURNIE PAR LES PARTICIPANTS