Le ralliement de Richard Bergeron au maire Coderre peut paraître étonnant. Après tout, combien de chefs d'opposition ont abandonné leur formation pour s'allier au parti au pouvoir? Combien de politiciens ont fondé un parti pour ensuite le déserter et passer à l'ennemi?

Mais pour qui a suivi l'homme depuis son baptême politique, il y a dix ans, le geste n'est pas totalement surprenant.

Il faut savoir que Richard Bergeron a un petit côté monomaniaque. Rien de maladif ou de malsain. C'est plutôt même une qualité dans son cas. C'est ce qui lui donne la fougue et la passion qu'on lui connaît.

L'idée fixe que poursuit cet urbaniste devenu politicien, vous l'aurez peut-être deviné, c'est le tramway. Un tramway qu'il rêve de ramener dans la métropole depuis bien plus d'années qu'il n'en cumule en politique.

C'est d'ailleurs ce qui l'a poussé à se lancer à la conquête de l'hôtel de ville. C'est ce qui l'a incité à fonder son parti. Et c'est ce qui n'a cessé de le motiver pendant la dernière décennie.

Car le chef de l'opposition, disons-le, détestait à s'en confesser son rôle d'opposition...

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Il s'agit d'un bon coup pour le maire Coderre, qui fait ainsi figure de rassembleur. C'en est un aussi pour Montréal, qui profitera de l'apport du plus grand expert en tramway que compte la province.

Mais c'est aussi un dur coup pour Projet Montréal, évidemment, d'autant qu'il est asséné par son propre fondateur. Le message qu'il envoie: la formation qu'il a menée à la guerre à deux reprises n'est plus le moyen approprié pour arriver à ses fins.

De la création de Projet Montréal jusqu'à sa démission, Richard Bergeron aura parlé de tramway, vanté le tramway, poussé le tramway. Il aura aussi traité d'autres enjeux qui l'intéressent, bien sûr, surtout ceux qui touchent le transport, l'urbanisme et le centre-ville. Mais sa marotte n'était jamais bien loin.

Je me souviens de lui quand il a fait le saut en politique au début des années 2000, armé d'un document de son cru, véritable bible qu'il trimballait partout, simplement intitulé «Le nouveau tramway».

Et je me souviens du document qu'il m'a présenté il y a quelques mois, une version améliorée de son rapport initial en vue de l'implantation d'un premier tramway sur le futur pont Champlain. La même passion, le même indéfectible espoir que Montréal accepte enfin de le suivre malgré toutes ces années.

Rien n'est donc plus important pour Richard Bergeron que ce grand dessein. Pas même son parti.

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Si Richard Bergeron avait eu des chances de gagner les prochaines élections, il serait resté en poste, à n'en pas douter. Mais il avait, de son propre aveu, «le sentiment d'avoir atteint ses limites comme candidat à la mairie».

Avec raison. L'homme a fini troisième, après Mélanie Joly.

Il s'est donc tourné vers le maire Coderre, seul capable de le rapprocher de son rêve. Une suite naturelle, donc, pour celui que la joute politique n'a jamais vraiment intéressé. Pas plus que la gestion au quotidien d'un arrondissement et tant d'autres dossiers qui n'étaient pas sa tasse de thé.

Je comprends son parti de lui en vouloir, d'autant que son rapprochement avec le maire s'est fait alors qu'il en était chef. Après des mois d'une opposition timide. Alors qu'il félicitait davantage le maire qu'il ne le critiquait. Sans grande conviction ni volonté.

Mais d'un point de vue d'observateur, d'un point de vue citoyen, le ralliement de M. Bergeron est une excellente nouvelle. D'autant qu'il signale un changement de cap pour l'administration Coderre, qui n'avait jusqu'ici manifesté aucune sensibilité pour le transport en commun.

«J'ai déjà dit que l'année 2015 sera celle du développement économique et du transport public, a dit le maire hier. Je pensais justement à Richard Bergeron en disant cela.»

Premier geste en ce sens: Denis Coderre s'est rallié à l'idée défendue par M. Bergeron pour Champlain. Les deux hommes défendront donc désormais, d'une même voix, le projet de tram-train pour le futur pont, soit une variante hybride du SLR, à mi-chemin entre le train et le tramway.

«Cela devient mon tout premier mandat au comité exécutif», s'est d'ailleurs félicité Richard Bergeron, hier. Il s'occupera également du recouvrement de l'autoroute Ville-Marie et de tout ce qui touche le centre-ville.

If you can't beat them, join them, a donc fini par se dire le chef démissionnaire. Une décision personnelle, donc, plus que partisane. Une évolution plus qu'un abandon. Un acte de désertion plus qu'une trahison.