On est un peuple de bâtisseurs, paraît-il. On a une expertise dans la gestion de grands projets. On a profité de nos barrages pour développer un savoir-faire reconnu.

Soit. Mais peut-on s'avouer que pour les chantiers urbains classiques, on est dernier de classe?

Rappelez-vous la saga du boulevard Saint-Laurent en 2008. Celle de l'avenue du Parc en 2010. Celle de la rue Notre-Dame Ouest l'an dernier. Chaque fois, des travaux qui s'étirent, des périodes d'inactivité, des chantiers qui font fuir la clientèle et éventuellement, les commerçants.

Et on s'apprête à ouvrir Saint-Denis, Laurier, et surtout la mère des artères, la Sainte-Catherine. Au secours!

Dans la foulée des recommandations de l'Institut de développement urbain (IDU) sur le réaménagement de la rue Sainte-Catherine Ouest, voici 10 leçons à tirer des cafouillages passés...

1) UN PROJET = UN BUREAU

La rue Saint-Paul vient d'être défigurée par une coulée de bitume qui dégouline à travers les pavés, un asphaltage temporaire qui permet à Hydro, Bell et Gaz Métro de passer chacun leur tour. On ouvre, on ferme. On rouvre, on referme. Une succession de travaux qui étire les délais à outrance. Un bureau de projet autonome capable d'embaucher les meilleurs professionnels, comme celui qui a donné le Quartier international, permettrait de coordonner la participation de chacun, tout en évitant de faire de ce réaménagement un banal projet de voirie.

2) RIGUEUR, RIGUEUR, RIGUEUR...

Le rond-point Dorval, ça vous dit quelque chose? Rappelez-vous, c'était un échangeur avant de devenir une farce monumentale. Il devait être terminé il y a trois ans, il le sera en 2020 en raison de lacunes majeures dans la préparation du projet. Une bévue qui rappelle le kilomètre manquant du métro de Laval et la dalle de béton oubliée sous le boulevard Saint-Laurent, qui a ralenti les travaux et fait exploser les coûts. On n'ouvre pas la Sainte-Cath avant 2016. On prend le temps de bien faire les choses, OK?

3) LES YEUX SUR LE CHANTIER

À voir tous les chantiers inactifs à Montréal, on comprend qu'on en lance plus qu'on peut en gérer. Lorsque Sainte-Catherine sera ouverte, il faudra se concentrer sur CE chantier majeur, et sur LE segment pour lequel on a la main-d'oeuvre. Pas question de travailler sur les rues avoisinantes ou de déserter des portions de chantier. On focalise, on active, on ne lésine pas sur les heures prolongées, même la nuit. Go, go, go!

4) TAPER SUR LES DOIGTS DES RETARDATAIRES

On entend constamment parler de retards sur les chantiers et de dépassements de coûts. Mais curieusement, jamais des réprimandes qui ont suivi. Pour Sainte-Cath, assurons-nous que les échéanciers sont connus et... fermes. De lourdes pénalités avec ristourne aux commerçants lésés aideraient sûrement un peu.

5) ÉVITER LA «TRAPPE À CHARS»

Vous vous souvenez de la fermeture du pont Champlain au début du mois? Les automobilistes pris dans des bouchons sans signalisation s'en souviennent, eux. Les travaux dans la rue Sainte-Catherine devront être signalés et communiqués, en temps réel, de même que le stationnement offert, les parcours piétonniers, les rues de contournement, etc. L'IDU propose la tenue d'un concours de communication. Bonne idée.

6) FAIRE D'UNE HORREUR UN ATTRAIT

Un chantier, c'est un trou entouré de barricades. Quand le promoteur a un souci esthétique, il ajoute un tissu sur les clôtures. Mais les efforts s'arrêtent là habituellement, alors que les experts réunis la semaine dernière pour le colloque Quel chantier! ont montré que des villes dégourdies peuvent transformer des chantiers en attraits: habillage design, art public, mobiliers éphémères, éclairage, placettes, etc. Montréal n'est-elle pas la ville de naissance de Moment Factory, Sid Lee et Lumenpulse?

7) CHANTIER NE DOIT PAS RIMER AVEC FERMÉ...

Les commerçants doivent contribuer pour attirer la clientèle pendant les travaux. La signalisation sera importante, l'accessibilité aussi. Mais les marchands devront redoubler d'imagination pour créer des événements, stimuler l'animation, envoyer un message d'ouverture. En permanence.

8) QUE LE PRIVÉ SE LÈVE

Le rapport de l'IDU est de bon augure: le privé s'implique dans le débat. Il doit aussi s'impliquer... financièrement, comme dans le Quartier international. Les propriétaires devraient profiter des travaux pour investir dans leur immeuble, mais aussi pour bonifier le réaménagement de la Sainte-Cath. À la clé, une hausse des valeurs foncières.

9) UN MÉTRO DE SURFACE

Le métro dessert très bien la Sainte-Catherine, surtout son sous-sol. Mais pendant les travaux, il faudrait s'assurer que les piétons ne se contentent pas de rester dans «la ville souterraine». Pour les amener à la surface, on pourrait penser à une navette gratuite: un bus électrique, un tramway sur roue, un bus à deux niveaux...

10) APPRENDRE DE NOS ERREURS

Si au moins le cafouillage du boulevard Saint-Laurent était une erreur de parcours. Mais non, c'est une habitude à Montréal. D'où l'importance de se documenter sur les meilleures pratiques à l'étranger, mais aussi d'analyser les erreurs passées - sur du Parc et Notre-Dame, par exemple - , afin de ne pas les répéter. Montréal n'a qu'une artère principale... et une occasion de bien la réaménager.